5e Pâques (25/05 - lect. thom. év. début)

La juste prière enseignée aux apôtres (Jn 16, 23-24)

Approfondissons les deux premiers versets de l’évangile, mais complets. Jésus avait donné à ses apôtres deux premiers réconforts en promettant le Paraclet et son propre retour et voici le troisième, d’accéder au Père.

  1. Les apôtres ne demanderont plus rien

La liturgie a malheureusement supprimé les mots précédents : « En ce jour-là, vous ne me demanderez plus rien/vous ne me poserez plus de questions » (Jn 16, 23a). Les apôtres n’interrogeront (en allemand jn. fragen) ou ne solliciteront plus rien (jn. bitten) « ce jour-là », renvoyant à la Résurrection ou à la vision.

  1. Première interprétation : la Résurrection

Pour saint Jean Chrysostome, « vous ne me direz plus ‘montrez-nous le Père’ » comme saint Philippe fêté le 11 mai. La Résurrection s’étire de Pâques à la Pentecôte et inclut l’envoi de l’Esprit-Saint qui leur enseignera la vérité toute entière (Jn 16, 13). Les apôtres sauront tout le nécessaire pour évangéliser : « Cette onction vous enseigne toutes choses » (1 Jn 2, 27). Par l’Incarnation, le Fils a uni à sa nature divine la nature humaine dans l’union hypostatique. Père et Fils partagent sont consubstantiels. La créature n’accède à Dieu le Père que par la nature humaine du Christ Jésus « médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Tm 2, 5-6). Ce jour-là, les apôtres ne l’interrogeront plus comme médiateur mais le solliciteront comme Dieu. L’Église, par l’amour et la foi, ne demande pas son intercession : « Ô Christ, priez pour nous » mais son intervention en tant que Dieu.

  1. Seconde interprétation : la Gloire

Pour saint Augustin « ce jour-là » est la béatitude où les apôtres ne chercheront plus à obtenir quoi que ce soit, car dans la patrie leur volonté, siège du désir, sera comblée : « je serai rassasié quand apparaîtra ta gloire » (Ps 16, 15, Vulg.). L’intellect, le sera tout autant : « dans votre lumière nous verrons la lumière » (Ps 35, 10). Chez un bienheureux, la lumière de gloire remplace la foi car il voit tout le créé dans la lumière du Verbe. L’intelligence est ravie par la lumière de Dieu. Elle voit Dieu tel qu’il est, dans son essence, sans intermédiaire mais sans le comprendre stricto sensu car Dieu dépasse ses capacités et peut seul se comprendre lui-même.

Pourtant l’Écriture mentionne des saints désirant ce qu’ils n’ont pas (Jb 5, 1 ; 2 M 15, 12 : « Onias, jadis grand prêtre (…) étendait les mains et priait pour toute la communauté des Juifs ». Dans l’Apocalypse, les martyrs réclament justice : « jusques à quand, Maître saint et vrai, resteras-tu sans juger, sans venger notre sang sur les habitants de la Terre ? » (Ap 6, 10). Des anges interrogent Dieu (Ps 23, 8 ; Is 63). Car, en réalité, la gloire se décompose en deux temps. Dans le premier courant entre sa mort et le retour glorieux du Christ ou parousie, l’âme désire être reconjointe à son corps, gémissant vers la Résurrection finale. Les bienheureux attendent encore que soit complété le nombre des élus. Ils cherchent à l’obtenir et interrogent Dieu, mais pas sur l’essence de la béatitude. Après le Jugement dernier et la gloire pleinement consommée, il ne restera plus rien à demander ni à connaître. Jésus se réfère aujourd’hui à ce second temps. Les anges, quant à eux, n’interrogent Dieu que sur les mystères de l’humanité et de l’Incarnation du Christ, pas sur sa divinité.

  1. Les apôtres seront exaucés
  1. Tension entre la Résurrection et la Gloire

Pour saint Jean Chrysostome vous ne me demanderez plus rien, cependant vous aurez mon aide. Saint Augustin interprète avant « ce jour-là » par notre pèlerinage sur la Terre, cette « vallée de larmes », où nous demandons au Père par le Fils. Toute prière de la messe s’achève par la doxologie (de doxa : la gloire) : « Par Jésus Christ, votre Fils, notre Seigneur, qui vit et règne avec vous dans l’unité du Saint-Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles, Amen ». Cela nous conduit donc vers la prière.

  1. 7 conditions pour prier avec justesse

Le Seigneur donne sept conditions pour une bonne prière :

  1. Demander d’abord des biens spirituels. « Si vous demandez quelque chose au Père en mon nom » ne vaut que pour cela car les temporels ne sont rien : « à côté de la Sagesse, j’ai tenu pour rien la richesse » (Sag 7, 8 ; cf. Jér 4, 23, Vulg.). Le Pater demande le pain spirituel dont l’âme a besoin. Autrement, ne nous étonnons pas de n’être pas exaucés : « vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser en plaisirs » (Jc 4, 3). Le reste vient par surcroît (Mt 6, 33).
  2. Prier avec persévérance : « Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager » (Lc 18, 1) et « Priez sans cesse » (1 Th 5, 17).
  3. Prier dans la concorde, d’où le pluriel : « si deux d’entre vous sur la Terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux » (Mt 18, 19). La prière de beaucoup est normalement exaucée.
  4. Prier par amour filial car on s’adresse au Père. La crainte servile voit Dieu comme un maître de maison presque oppresseur : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ! » (Mt 7, 11).
  5. Prier avec piété : humilité : « II a regardé la prière des humbles, et n’a pas méprisé leur supplication » (Ps 101, 18, Vulg.), confiance d’être exaucé : « Mais qu’il demande avec foi, sans la moindre hésitation » (Jc 1, 6), car on demande le salut : « sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver » (Ac 4, 12).
  6. Prier en temps opportun. Si nous ne recevons pas, ne nous décourageons pas aussitôt. Cela sera donné au moment convenable pour accroître notre désir : « Les yeux sur toi, tous, ils espèrent : tu leur donnes la nourriture au temps voulu » (Ps 144/145, 15).
  7. Prier pour soi. Parfois, on n’est pas exaucé pour les autres car leur manque de mérite fait obstacle : « Toi, n’intercède pas en faveur de ce peuple, n’élève pour eux ni supplication, ni prière, n’insiste pas auprès de moi : je ne t’écouterai pas ! » (Jr 7, 16).

  1. Leur marge de progression

  1. Leur défaillance passée

« Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom ». Quand les apôtres demandaient en son nom comme d’exorciser, ils se limitaient à des choses temporelles comme les guérisons, la libération d’Israël du joug romain. Ils n’avaient pas encore reçu l’Esprit d’adoption, par lequel ils aspireraient aux choses d’en-haut (quæ sursum sunt), réalités spirituelles. Ils ne demandaient pas au Père au nom du Fils car ils ne connaissaient pas encore bien le nom du Christ.

  1. Oser demander

Jésus exhorte à demander : « Demandez, on vous donnera » (Mt 7, 7), avec audace : « si ce n’est pas assez, j’ajouterai encore autant » (2 Sm 12, 8) pour que leur joie soit complète, comme lorsqu’ils se réjouissaient du fruit de leur première mission : « Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux, en disant : ‘Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom’ » (Lc 10, 17). La joie couronne l’exaucement mais il faut aussi la demander. Le désir est ce mouvement de l’appétit vers le bien. La joie est son repos dans ce bien. L’homme joyeux se repose dans le bien désormais possédé, vers lequel se portait son désir. Sa joie est proportionnée au bien possédé. Un bien créé ne peut donner une joie, un repos pléniers : « Tu nous as faits pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi » (Les Confessions, I, 1, 1). La vraie joie est Dieu, bien suprême dans lequel existent tous les biens désirables. Autrement dit, nous devons demander de jouir de Dieu et de la Trinité car il n’y a rien de plus grand. Telle est la vocation humaine, contrariée par le vice capital de l’acédie (faussement comprise comme une paresse) qui est un péché contre le repos en Dieu.

Date de dernière mise à jour : 25/05/2025