Dimanche de Pâques (31/03 - lect. thom. ép.)

Homélie du dimanche de Pâques (31 mars 2024)

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Lecture thomiste de l’épître (1 Co 5, 7-8)

Saint Paul avait blâmé les fautes des Corinthiens (tolérant la fornication) puis avait posé une question rhétorique (v. 6 : « Ne savez-vous pas qu’un peu de levain aigrit toute la pâte ? »), introduisant la métaphore du levain, qui s’entend doublement, négativement ou positivement.

  1. Écarter le levain de la corruption du péché

L’une des différences distinguant les orthodoxes des catholiques repose dans l’usage pour la communion du pain levé ou du pain azyme. Nous suivons l’usage juif de la Pâques en la matière : « pendant sept jours, vous mangerez des pains sans levain. Dès le premier jour, vous ferez disparaître le levain de vos maisons. Et celui qui mangera du pain levé, entre le premier et le septième jour, celui-là sera retranché du peuple d’Israël » (Mt 13, 33). Le levain symbolise le péché car il fait enfler la pâte comme la boursoufflure de l’orgueil (étymologie grecque de physioô φυσσιοω 1 Co 4, 18-19 ; 5, 2 ; 8, 4 ; 13, 4), racine de tout mal.

Par : « méfiez-vous du levain des pharisiens, c’est-à-dire de leur hypocrisie » (Lc 12, 1), le Seigneur Jésus-Christ dénonçait leur péché. Par extension, le levain évoque le pécheur lui-même. C’est pourquoi l’apôtre emploie cette comparaison. De même qu’un peu de levain suffit à aigrir toute la pâte, ainsi ne faut-il qu’un seul pécheur pour souiller toute une société : « une seule étincelle allume l’incendie, et un seul trompeur multiplie les meurtres » (Sir 11, 34, Vulg.). Le scandale est justement quand le péché d’un seul incite les autres à pécher à sa suite. Raison pour laquelle il ne faut pas non plus donner l’impression de consentir au pécheur en ne le corrigeant pas quand on le peut : « Ceux-là méritent la mort non seulement qui font de pareilles actions, mais encore ceux qui les approuvent » (Rm 1, 32, Vulg.). Voilà pourquoi les Corinthiens devraient prendre garde que le péché d’un seul ne souillât tous les autres de son contact comme le lis entre les ronces (Ct 2, 2).

Purifiez-vous en rejetant loin de vous le vieux levain, en d’autres termes le fornicateur, qui, par son péché, est retourné à la vieillesse de l’ancienne corruption : « Pourquoi donc, Israël, pourquoi es-tu exilé chez tes ennemis, vieillissant sur une terre étrangère, souillé par le contact des cadavres, inscrit parmi les habitants du séjour des morts ? » (Ba 3, 11). Même parmi les apôtres, il fallut purifier le collège de la présence de Judas : « Quand il fut sorti, Jésus déclara : ‘maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui’ » (Jn 13, 31).

Le vieux levain s’entend encore par l’antique erreur (Is 26, 3, Vulg.), soit la corruption du péché originel qui a introduit la souffrance et la mort : « l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui pour que le corps du péché soit réduit à rien, et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché » (Rm 6, 6). Mais cette vieillesse du péché désigne aussi au-delà de cette infection héréditaire du genre humaine, tout péché actuel : « vous vous êtes débarrassés de l’homme ancien qui était en vous et de ses façons d’agir » (Col 3, 9). L’homme est purifié par l’éloignement de ces diverses corruptions de l’âme qui conduisent à la mort spirituelle. Au contraire marcher à la suite du Christ nous rajeunit car nous sommes replongés dans les eaux du baptême purifiant, comme nous inaugurons chaque messe par l’antienne de l’introibo : « j’avancerai vers l’autel de Dieu qui réjouit ma jeunesse » (Ps 42, 4, Vulg.).

  1. La purification de la pâte nouvelle

L’apôtre expose ensuite l’effet de cette purification par la métaphore de la pâte nouvelle. Ce mélange de farine et d’eau renvoie à la manne (Ex 16, 14-15) et aux sources de Massa et Meriba (Ex 17, 2-7), où les Juifs dans le désert récriminaient contre Dieu qu’ils ne voyaient plus comme libérateur ni pourvoyeur de tout bien car provident. Ce « pain des anges » (Ps 77, 25, Vulg.) n’a pas besoin de levain huamain car il lève par le souffle de l’Esprit qui vivifie et rassasie. Saint Augustin enseignait aux néophytes : « Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Au moment des exorcismes, vous étiez en quelque sorte sous la meule, vous avez été broyés. Au moment du baptême, vous avez été mouillés, vous deveniez comme une pâte ; et on vous a fait cuire en quelque sorte quand vous avez reçu le feu de l'Esprit-Saint » (Sermon 272 ; éd. des Mauristes 5, 1103-1104). Si la pâte crue est indigeste, à la confirmation on est cuit et donc une nourriture solide pour les autres (1 Co 3, 2).

La pâte nouvelle évoque encore la pureté du renouvellement des fidèles : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » (Rm 12, 2). « Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité » (Ép 4, 23-25).

L’Agneau pascal était immolé par la multitude des enfants d’Israël quand ils furent sauvés de l’ange exterminateurs qui, frappant les premiers-nés de l’Égypte, épargnait les maisons des Hébreux aux linteaux aspergés du sang de l’agneau : « Car c’est la pâque, c’est-à-dire le passage du Seigneur » (Ex 12, 2-14). Le passage est double : celui de l’ange exterminateur et celui de la mer Rouge se refermant sur l’armée de pharaon, engloutissant cheval et cavalier (Ex 15, 1-18). Nous avons donc été marqués du signe de la croix sanglante du Sauveur pour ne pas mourir comme ceux voués à la damnation par leur refus de Dieu. Cette Pâque des Juifs (Mt 26, 17) ou innocent, « agneau de Dieu » qu’est le Christ (Jn 1, 29) fut immolé afin que le peuple de Dieu fût délivré des attaques du démon par son sang, et de la servitude du péché par le baptême, passage d’une autre mer Rouge. En grec, Pâque signifie Passion du Christ, dans laquelle il fut mis à mort et passa de ce monde à son Père (Jn X1, 1).

Célébrons la Pâque en nourrissant nos âmes de Jésus-Christ, non seulement sacramentellement : « si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous » (Jn 6, 53), mais aussi spirituellement, en participant à sa sagesse : « Ceux qui me mangent auront encore faim, ceux qui me boivent auront encore soif » (Sir 24, 21). En effet, plus positive le levain signifie la sagesse, science savoureuse de Dieu comme le levain communique au pain sa saveur.

« Non avec le vieux levain, ni avec le levain de la malice et de l’iniquité » désigne le mode de manducation. Il s’agit de supprimer l’observance matérielle des préceptes de l’ancienne Loi, qui a perdu toute sa force par la mort de Jésus-Christ : « après vous être nourris de l’ancienne récolte, vous mettrez le vieux grain dehors pour faire place au nouveau » (Lv 26, 40). Mais aussi de rejeter tout mal comme déjà dit. Le vieux levain renvoie à la vie ancienne du péché en général et pour « ni avec le levain de la malice et de l’iniquité », au péché commis contre soi-même ou contre les autres. À cela s’oppose la bonne manière, « avec les azymes de la sincérité et de la vérité ». Est sincère ce qui est sans corruption pour tenir réellement à la parole divine : « nous ne sommes pas comme tous ces gens qui sont des trafiquants de la parole de Dieu ; au contraire, c’est avec sincérité, c’est de la part de Dieu, et devant Dieu, que dans le Christ nous parlons » (2 Co 1, 17). Combien de théologiens et de hiérarques modernes ne tordent-ils pas la ‘parole de Dieu’ qu’ils idolâtrent pourtant ! Si « la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (Jn 1, 17) car Dieu veut des adorateurs « en esprit et vérité » (Jn 4, 23). La glose interprète la sincérité par l’innocence excluant les vices, donc la vie nouvelle, et par la vérité, la droiture excluant toute dissimulation.

Enfin « le royaume des Cieux est comparable au levain qu’une femme a pris et qu’elle a enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé » (Mt 13, 33). Si longtemps cette parabole fut mal comprise pour justifier l’erreur de l’enfouissement, alors qu’elle indique le souffle de l’esprit pour donner son âme au monde qui dépérit autrement ! Soyons d’ardents missionnaires non pas de nous mais du Christ ressuscité. Comme l’on dit en russe, « Христос Воскресе. Bо истину Воскресе! ». Le Christ est ressuscité, en vérité, il est ressuscité !

Date de dernière mise à jour : 31/03/2024