Rameaux 2024 (24/03 - lect. thom. ép.)

Homélie du dimanche des Rameaux (24 mars 2024)

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Lecture thomiste de l’épître (Ph 2, 5-11).

  1. Le Tout-Puissant s’est abaissé

Saint Paul exhorte les Philippiens à pratiquer l’humilité suivant l’exemple de Jésus-Christ. Pour y parvenir il faut entrer dans l’esprit du Christ (ses sentiments au sens plus volontaire qu’affectif), pratiquer par l’expérience. Cinq dispositions élèvent à ces sentiments, correspondant aux cinq sens. Contemplons son éclat, afin que reflétant sa lumière, nous lui devenions semblables, sans le voile qu’avait Moïse sur son visage après avoir conversé avec Dieu : « nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image » (2 Co 3, 18, cf. Is 33, 17).  Écoutons sa sagesse, afin d’obtenir la béatitude : « heureux tes serviteurs que voici, eux qui se tiennent continuellement devant toi et qui entendent ta sagesse ! » (1 R 10, 8). Humons la grâce de sa mansuétude, afin de courir à lui « Délice, l’odeur de tes parfums » (Ct 1, 3). Goûtons la douceur de sa tendresse : « Goûtez et voyez comme le Seigneur est bon ! » (Ps 33, 9). Touchons sa grandeur afin d’obtenir le salut en nous disant comme l’hémorroïsse : « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée » (Mt 9, 21).

L’apôtre rappelle d’abord la majesté du Christ afin de faire ressortir son humilité. Cette dignité recouvre à la fois la vérité de la nature divine et l’égalité entre les personnes divines. Tout être se constitue, quant au genre et à l’espèce, par la forme qui lui appartient et exprime sa nature. Le Christ a la nature de Dieu, est consubstantiel au Père : « pour que nous connaissions Celui qui est vrai ; et nous sommes en Celui qui est vrai, en son Fils Jésus Christ. C’est lui qui est le Dieu vrai, et la vie éternelle » (1 Jn 5, 20). Chez un être simple comme Dieu, forme et être se confondent. Même si ‘nature’ plutôt que ‘forme’ serait pareil, l’unique engendré qu’est le Fils rappelle que la fin de la génération est la forme transmise parfaitement de Dieu le Père. Semblablement, le verbe n’est parfait que lorsqu’il conduit à la connaissance de la nature de la chose. Enfin une image est parfaite lorsqu’elle reproduit la forme de son objet (He 1, 3). Jésus-Christ reproduit parfaitement cette forme ou nature divine. « Il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu », parce qu’il est Dieu et connaît sa nature. Les Juifs l’accusèrent de blasphémer : « il se faisait ainsi l’égal de Dieu » (Jn 5, 18). Mais chez le Christ, ce n’était pas une usurpation comme pour le démon et l’homme prétendant égaler Dieu ! Satan disait « je serai semblable au Très-Haut ! » (Is 14, 14) et à Adam et Ève : « vous serez comme des dieux » (Gn 3, 5). Jésus au contraire paya le prix pour ‘satisfaire’ cette même usurpation du premier homme : « j’ai payé ce que je n’ai pas pris » (Ps 68, 5).

  1. Un double abaissement
  1. L’Incarnation

L’humilité s’exprime dans le double abaissement de l’Incarnation puis de la Passion. En assumant une nature humaine, il ne s’est pas dépouillé de cette divinité. Il est demeuré ce qu’il était mais a pris sur lui ce qu’il n’était pas. Comme il est descendu des cieux sans cesser d’y être parce qu’il a commencé d’être dans un mode nouveau sur terre. Il n’a pas déposé la nature divine mais s’unit la nature humaine. « Il s’est anéanti » car le vide est opposé à la plénitude de la divinité. La nature humaine et l’âme de l’homme ne possèdent pas la plénitude, mais ont la capacité d’y parvenir, car cette âme est comme une table rase; vide. Jésus prit donc la condition de serviteur (v. 7). L’homme, par sa créaturalité est serviteur de Dieu et la nature humaine est la forme de ce serviteur (Is 42, 1). Jésus-Christ ne s’est point uni l’homme mais s’est fait homme en unissant la nature à sa propre personne, afin d’être dans son unique personne divine en deux natures et Fils de Dieu et fils de l’homme.

Il assuma une véritable conformité de nature à l’homme pour bien accomplir sa mission : « il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu » (He 2, 17). Sauf le péché (He 4, 3), Jésus assuma toutes les imperfections constituant l’espèce humaine : il a eu faim comme nous, il a ressenti la fatigue et toutes les autres faiblesses comme nous : « Ainsi, la Sagesse est apparue sur la terre, elle a vécu parmi les hommes » (Ba 3, 38).

« Reconnu homme à son aspect » (v. 7) ‘à l’extérieur’ doit bien se comprendre en distinguant quatre sortes d’habitudes. La première change celui en qui elle se trouve, sans changer elle-même comme l’insensé par la sagesse. La seconde imprime et subit le changement comme l’aliment assimilé. La troisième ne subit ni ne fait subir de changement, tel l’anneau passé au doigt. La quatrième reçoit le changement sans l’imprimer comme le vêtement. C’est de cette dernière manière que la nature humaine est à comprendre pour le Christ, car la nature divine a reçu cet extérieur, sans en être modifiée en aucune façon. Toutefois la nature humaine a été changée en mieux, puisqu’elle a été remplie de grâce et de vérité (Jn 1, 14).

Ce terme fut source d’erreurs. La nature humaine ne fut pas unie au Christ que comme un accident mais lui est attribuée substantiellement (le Christ nous est consubstantiel par son humanité). Car la personnalité de la nature divine est devenue la personnalité de la nature humaine. Le Christ n’est pas 1) simplement un homme pas né de la Vierge (Photin). Il était dans la forme de Dieu avant de prendre celle de serviteur, qui le rend inférieur à son Père, ce qui lui permet mériter. 2) inférieur à son Père, comme adopté par Dieu (Arius). 3) n’inhabite pas comme l’Esprit Saint en nous (Nestorius), de sorte qu’il faudrait distinguer le Fils de Dieu du Fils de l’homme. Malgré l’anéantissement, le Père et le Saint-Esprit demeurent avec le Christ car l’union s’est accomplie dans la personne divine du Fils. 4) des deux natures il n’en résulte pas qu’une seule (Eutychès). 5) n’a pas apporté du ciel son corps (Eutychès). 6) Le Christ a bien une âme humaine autrement il ne serait pas semblable aux hommes (Apollinaire).

  1. La Passion

Le mystère de la passion du Christ est la seconde grande marche vers le bas. L’homme-Dieu était si grand qu’il fit un plus grand effort d’humilité : « plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses » (Sir 3, 20, Vulg.). Le mode de l’humiliation fut l’obéissance car les superbes ne suivent que leur propre volonté. Quand on est élevé, on n’est plus régi par un autre mais on se gouverne soi-même. L’obéissance donne le mérite à nos souffrances. Bien sûr, le Christ ne pouvait se rendre obéissant que dans sa volonté humaine, qui s’est réglée en tout sur la volonté de son Père : « Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux » (Mt 26, 39). C’est très pédagogique car la première prévarication d’Adam et Ève vint par la désobéissance : « de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste » (Rm 5, 19). L’obéissance de Jésus-Christ est très grande et digne de louanges car la volonté porte l’homme à la vie et à l’honneur et le Christ n’a refusé ni la mort (1 P 3, 18) ni l’ignominie d’une mort sur la croix, infamie réservée aux esclaves comme les compagnons de Spartacus : « condamnons-le à une mort infâme » (Sg 2, 20 ; cf. He 12, 2).

  1. L’exaltation du Christ

En récompense, Dieu l’a exalté d’autant plus haut qu’il s’était abaissé plus bas. « En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; et qui s’abaisse sera élevé » (Lc 14, 11).

  1. La résurrection

L’élévation commence dès la Croix dans l’optique johannique, comme une première marche qu’on aimerait éviter : « et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. Il signifiait par-là de quel genre de mort il allait mourir » (Jn 12, 32-33). Mais elle est surtout le relèvement des morts en ressuscitant. « Le bras du Seigneur se lève, le bras du Seigneur est fort ! Non, je ne mourrai pas, je vivrai » (Ps 117, 16-17). « Ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui » (Rm 6, 9). La troisième étape est l’Ascension au Ciel où Dieu le Père l’a placé à sa droite où il trône, dominant même en son humanité les neuf chœurs des anges : « Le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux, il l’a établi au-dessus de tout être céleste : Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination, au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer, non seulement dans le monde présent mais aussi dans le monde à venir » (Ép 1, 20).

  1. La manifestation de sa divinité

Si d’autres sont aussi exaltés dans la gloire et immortalité, le Christ l’a été davantage car il lui a donné un nom. Le nom est imposé pour signifier la chose. Le nom de la divinité est plus élevé (Ps 8, 2) et il l’a donné en partage au Fils. Certes, Dieu le Père lui avait donné ce nom en tant qu’il est Fils de Dieu de toute éternité par sa génération éternelle (Jn 5, 26), mais en ressuscitant en tant qu’homme par l’union des deux natures en sa personne divine : « selon l’Esprit de sainteté, [il] a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur. Pour que son nom soit reconnu, nous avons reçu par lui grâce et mission d’Apôtre » (Rm 1, 4-5). Non pas qu’il ne l’aurait pas eu dès le premier instant de l’incarnation, mais pour qu’il soit reconnu par nous et tous.

  1. L’hommage respectueux de toutes les créatures

Ce nom, même en tant qu’homme, est au-dessus de tous les autres. Il amène à l’obéissance toute créature qui fléchira le genou devant lui (Is 45, 23). Distinguons la soumission volontaire ou involontaire. Les saints anges lui sont soumis volontairement : « Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges » (Ps 96, 7, Vulg.). Les bienheureux, les saints et les justes lui seront également soumis de la même manière (Ps 95, 9). Mais les démons et les réprouvés seront contraints à se soumettre (Jc 2, 19). Leur confession ne sera pas celle de louanges des élus mais celle forcée qu’on rend par la connaissance qu’il est bien Dieu. « Ils proclament ton nom, grand et redoutable, car il est saint ! » (Ps 98, 3 ; cf. Is 40, 5). Le Christ partage en effet la même gloire (Jn 5, 23) qu’il avait de toute éternité mais qui sera alors reconnue de tous (Jn 17, 5).

Date de dernière mise à jour : 24/03/2024