4e Avent (21/12 - s. Thomas ap.)

Homélie du 4e dimanche de l’Avent (21 décembre 2025)

Saint Thomas, apôtre

Si les évangiles synoptiques se contentent d’indiquer son nom dans la liste de douze apôtres, l’évangile selon saint Jean lui donne une place toute particulière qui n’est pas sans rappeler saint Pierre. Il est d’abord fougueux à la résurrection de Lazare : « Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : ‘Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui !’ » (Jn 11, 16) avant d’être lent à comprendre : « Thomas lui dit : ‘Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ?’ » (Jn 14, 5) qui vaudra la célèbre réplique sur le chemin, la vérité et la vie. Mais il s’y distingue surtout par sa fameuse incrédulité (Jn 20, 24-29) qui, selon saint Grégoire le Grand, était voulue d’après le plan divin :

« Croyez-vous que tout cela se soit produit par hasard ? Que ce disciple choisi ait été d’abord absent ; qu’en arrivant ensuite il entende ce récit ; qu’en l’entendant, il doute ; qu’en doutant, il touche, et qu’en touchant il croie ? (…). En effet l’incrédulité de Thomas a été plus avantageuse pour notre foi que la foi des disciples qui ont cru. Car, tandis que ce disciple, en touchant, est ramené à la foi, notre esprit, en dominant toute hésitation, est confirmé dans la foi ; ~ ce disciple, en doutant et en touchant, est devenu témoin de la réalité de la résurrection. (…) Il toucha donc, et il s’écria : ‘Mon Seigneur et mon Dieu’. Jésus lui dit : ‘Parce que tu m’as vu, tu crois’. Or, l’Apôtre Paul a dit : ‘La foi est la manière de posséder déjà ce qu’on espère, et de connaître des réalités qu’on ne voit pas’. Il est donc bien clair que la foi fait connaître ce qui ne peut pas se voir. Ce qu’on voit, en effet, ne produit pas la foi mais la constatation. Alors que Thomas a vu, lorsqu’il a touché pourquoi lui est-il dit : ‘Parce que tu m’as vu, tu as cru ?’ Mais ce qu’il a cru n’était pas ce qu’il a vu. Car la divinité ne peut être vue par l’homme mortel. C’est donc l’homme qu’il a vu, et c’est Dieu qu’il a reconnu en disant : ‘Mon Seigneur et mon Dieu’. Il a donc cru tout en voyant, puisqu’en regardant un vrai homme, il a proclamé que celui-ci était Dieu, et cela, il n’avait pas pu le voir ».

Deux apocryphes lui sont attribués : l’évangile et les actes de Thomas.

L’apôtre d’Assyrie et du Gandhara

Dès l’an 37, répondant à la demande du roi Abgar V d’Édesse, dans le royaume d’Osroène, converti au judaïsme, qui avait déjà écrit à Jésus (cf. Eusèbe de Césarée), Thomas envoya Addaï ou Jude-Thadée (le Zélote) tandis que lui, parti d’Antioche avec Barthélémy, allait plus à l’Est vers Ninive (Mossoul), dans le royaume frère judaïsé d’Adiabène (cœur de l’Assyrie, Irak du Nord ou actuel Kurdistan autour d’Arbèles/Gaugamèles, actuel Erbil) et Nisibe (Nusaybin, à la frontière syrienne, siège d’une école théologique importante de l’église syriaque, avec saint Éphrem). Ensuite, il poussa vers le royaume indo-parthe du Taxila, dans l’ancien Gandhara (Pendjab pakistanais) sous influence grecque depuis Alexandre le Grand. Là, il rencontra Gondopharès Ier (20/21-46/48).

Le bx. Jacques de Voragine rapporte un passage évoqué plusieurs fois par saint Augustin, non sans hésitation sur son côté potentiellement apocryphe.

« L’apôtre Thomas, se trouvant à un repas de noces comme pèlerin inconnu, avait été frappé de la main d’un serviteur contre lequel il avait exprimé aussitôt le souhait d’une cruelle vengeance. Car cet homme, étant sorti afin d’aller puiser de l’eau à une fontaine pour les convives, aurait été tué par un lion qui se serait jeté sur lui, et la main qui avait frappé légèrement la figure de l’apôtre arrachée du corps, d’après son vœu et ses imprécations aurait été apportée par un chien sur la table où l’apôtre était placé. Peut-on voir quelque chose de plus cruel ? Or, si je ne me trompe, cela veut dire qu’en obtenant son pardon pour la vie future, il y eut une certaine compensation par un plus grand service qu’il lui rendait. L’apôtre, chéri et honoré de Dieu, était par ce moyen rendu recommandable et à ceux qui ne le connaissaient pas, et à celui en faveur duquel il obtenait la vie éternelle à la place d’une vie qui devait finir. Il m’importe peu si ce récit est vrai ou faux : ce qu’il y a de certain, c’est que les manichéens qui reçoivent comme vraies et sincères ces écritures que le canon de l’Église rejette, sont du moins forcés d’avouer que la vertu de patience enseignée par le Seigneur lorsqu’il dit ‘si quelqu’un vous frappe sur la joue droite, présentez lui la gauche’ peut exister réellement au fond du cœur, quand bien même on en ferait pas montre par ses gestes et ses paroles, puisque l’apôtre, qui avait été souffleté, pria le Seigneur d’épargner l’insolent dans la vie future, en ne laissant pas sa faute impunie ici-bas, plutôt que de lui présenter l’autre joue  (…). Il avait l’amour de charité, intérieurement, et extérieurement, il réclamait une correction qui servit d’exemple ».

Le roi le pria de bénir le jeune couple qui eut un même songe de Jésus et Thomas leur enjoignit de garder la pureté. Après avoir vus leurs anges gardiens, ils se convertirent. Pélagie se consacra et Denys devint évêque.

Une image contenant art, carte

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Saint Thomas revint à Jérusalem autour de la mort de la Vierge Marie (transitus). Certaines versions le disent présent en ses derniers instants, d’autres plus tardifs qu’il aurait manqué et simplement vu le tombeau vide. Encore incrédule, il aurait alors reçu sa ceinture de la Vierge montée au Ciel. Cette relique se trouve aujourd’hui à Prato, près de Florence. D’autres églises la revendiquent car elle fut divisée (voire reliques par contact) à Homs en Syrie, depuis Édesse, au Mont-Athos (Vatopedi), Quitin en Bretagne (ND de Délivrance), Loches.

L’apôtre des Indes

La tradition de l’église syro-malabare (ou Chrétiens de Thomas) le fait aller dans un autre voyage jusqu’en Inde du Sud. Il débarqua à Muziris (aujourd’hui Cranganore) au Kerala en 52. Il tenta d’y évangéliser les juifs mais connut davantage de succès auprès des autochtones. Il fonda les sept églises (et demi) du Kérala (Kodungalloor, Kollam, Nilakkal, Niranam, Kokkamangalam, Kottakkavu et Palayoor) puis continua vers Sri Lanka (Taprobane à l’époque) et le Tamil Nadu où il fut martyrisé.

Il avait été appelé par Abanès, l’envoyé indien, comme architecte pour construire au roi un palais à la romaine. Le roi lui avait confié de grands trésors pour l’édifier puis s’absenta deux ans. Mais l’apôtre avait distribué l’argent aux pauvres car les œuvres charitables étaient le véritable palais que ni la rouille ni la mite ne détruisent (Mt 6, 19). Ayant beaucoup prêché, il avait converti de nombreux fidèles. Le roi voulut l’écorcher et brûler mais son frère Gab mourut et ressuscita le 4e jour. Il l’avertit que saint Thomas était un ami de Dieu et qu’il avait vu son palais d’or, d’argent et pierres précieuses au Ciel dont il s’était rendu indigne. Mais lui, Gab, le rembourserait car il voulait l’acquérir, donc se faire chrétien. Gab délivra de sa prison Thomas qui refusa l’habit précieux qu’il offrait « rien de terrestre n’est estimé de ceux qui désirent avoir puissance en choses célestes ». Le roi implora son pardon en disant : « ‘je garde (le palais) pour moi : que l’apôtre t’en bâtisse un autre, ou bien s’il ne le peut, nous posséderons en commun’. L’apôtre répondit : ‘Ils sont innombrables dans le Ciel, les palais préparés aux élus depuis le commencement du monde ; on les achète par les prières et au prix de la foi et des aumônes. Vos richesses peuvent vous y précéder, mais elles ne sauraient vous y suivre ».

Un mois après, il réunit tous les pauvres et malades qu’il guérit par la foudre et leur enseigna les douze degrés de la vertu : 1) croire en Dieu, qui est un en essence et triple en personnes ; 2) recevoir le baptême ; 3) s’abstenir de la fornication ; 4) fuir l’avarice ; 5) se préserver la gourmandise ; 6) vivre dans la pénitence ; 7) persévérer dans les œuvres bonnes ; 8) pratiquer l’hospitalité ; 9) chercher à faire la volonté de Dieu dans ses actions ; 10) rechercher ce que la volonté de Dieu défend et l’éviter ; 11) pratiquer la charité envers ses amis comme envers ses ennemis ; 12) apporter un soin vigilant à garder ses degrés.

En Inde supérieure, il convertit Sintice qui lui amena son amie Migdomie :

« Le saint se mit à déplorer la misère de la vie (…) fugitive et sujette aux disgrâces ! Quand on croit la tenir, elle s’échappe et se disloque. Il commença à exhorter par quatre raisons à écouter volontiers la parole de Dieu qu’il compara à (…) un collyre parce qu’elle éclaire l’œil de notre intelligence ; à une potion parce qu’elle purge et purifie notre affection de tout amour charnel ; à un emplâtre en ce qu’elle guérit les blessures de nos péchés ; à la nourriture, parce qu’elle nous fortifie dans l’amour des choses célestes. Or, de même que ces objets ne font du bien à un malade qu’autant qu’il les prend, de même, la parole de Dieu ne profite pas à une âme languissante si elle ne l’écoute avec dévotion ».

Migdomie se convertit et refusa de partager la couche de son mari Carisius qui fit emprisonner saint Thomas. Le roi son cousin envoya sa femme pour la convaincre de revenir vers lui mais elle se convertit à son tour et le repoussa tout autant et Thomas argua :

« D’où vient que vous qui êtes roi, vous ne voudriez pas que votre service se fît d’une manière sale et que vous exigiez la propreté dans vos serviteurs et dans vos servantes ? Combien plus devez-vous croire que Dieu exige un service très chaste et très propre ? Pourquoi me faire un crime de prêcher aux serviteurs de Dieu, de l’aimer quand vous désirez la même chose dans les vôtres ? ».

Le roi en colère fit placer l’apôtre nu-pieds sur des lames de fer brûlantes mais une fontaine surgit et les refroidit. Il jeta alors Thomas dans une fournaise ardente qui s’éteignit. L’apôtre défia finalement le roi à la manière d’Élie face aux faux prophètes de Baal : qu’il honore son idole, le soleil. « Celui que j’adore, c’est mon Seigneur Jésus Christ, au nom duquel je te commande, démon qui te cache dans cette image de la briser. Aussitôt, elle disparut comme une cire qui se fond ». L’un des prêtres s’empara d’une lance et martyrisa le saint le 3 juillet 72 (date de sa fête dans le nouveau calendrier) à Mylapore (quartier de Madras/Chennai).

Reliques

Ses reliques furent divisées et transportées partiellement à Édesse, de là à Mossoul (Ninive) et Chios. Les Latins les volèrent dans l’île grecque et les ramenèrent le 6 septembre 1258 à Ortona, près de Lanciano (Abruzzes, côte Adriatique) où elles échappèrent aux profanations des Ottomans en 1566, des Français en 1799 et Allemands en 1943. En 1983-1986, des chercheurs effectuèrent une enquête scientifique sur les os et constatèrent que ce squelette mâle était d’une stature frêle longiligne d’environ 160 cm (± 10 cm), âgé entre 50 et 70 ans, affecté d’une spondylarthrite ankylosante (maladie de Bechterew-Marie-Strümpell). Des traces d’une fracture de la coupe zygomatique marginale montre qu’il y a eu un coup dur au bord coupant sans pleinement trancher, ce qui correspond à la lance, attribut de son martyre.

Date de dernière mise à jour : 21/12/2025