Homélie du dimanche dans l’Octave de la Nativité (28 décembre 2025)
Saint Thomas Becket
L’octave de Noël n’est pas joie de la Nativité. Très vite l’omniprésence des martyrs commémorés montre à quoi conduit la suite du Christ. Saint Étienne protomartyr est fêté le 26 décembre, les innocents le 28, saint Thomas de Cantorbéry le 29.
Vie de saint Thomas Becket
Thomas avant l’épiscopat : un serviteur dévoué du roi Henri II
Saint Thomas naquit le 21 décembre 1120 à Cheapside, dans la City de Londres, d’une famille de marchands. Son père était né à Rouen et sa mère de Mondeville près de Caen. Il fut formé à l’école cathédrale de Canterbury puis en droit à l’université de Bologne, la plus prestigieuse de l’époque. Repéré par l’archevêque de Canterbury Thibaut du Bec, il le fit archidiacre et lui confia plusieurs missions importantes à Rome. Il le recommanda au roi Henri II comme chancelier.
Le Plantagenêt est le fils de Geoffroy V, comte du Maine, Touraine et Anjou et du second mariage de l’héritière du royaume normand d’Angleterre, Mathilde ‘l’emperesse’, petite-fille du Conquérant. À la manière normande, il voulait unifier le royaume d’Angleterre sous une seule loi, bafouant les privilèges ou libertés de l’Église qui disposait de sa propre juridiction pour ses siens. Thomas servit loyalement le roi dont il devint l’ami et qui lui confia l’éducation de son héritier Henri le Jeune, enterré dans la cathédrale. À la mort de l’archevêque, le roi signifia au chapitre que Thomas Becket lui agréerait comme primat d’Angleterre. Il fut consacré le 2 mai 1162, juste après son ordination.
Un primat d’Angleterre jaloux des droits de l’Église
À partir de son sacre comme archevêque de Canterbury, Thomas changea radicalement de vie et défendit les droits de l’Église. Le courtisan gai amateur de richesses et plaisirs devint ascète, portant le cilice, non seulement la chemise mais encore des caleçons de poil de chèvre le couvrant jusqu’aux genoux. Tous les jours, il lavait à genoux les pieds de 13 pauvres auxquels il donnait un repas et quatre pièces d’argent.
L’Église connaissait bien des difficultés. L’empereur Frédéric Ier Barberousse avait suscité des antipapes contre Alexandre III qui s’était exilé en France. Le pape en personne remit à Thomas le pallium, signe distinctif de sa juridiction en 1163. De retour en Angleterre, Thomas œuvra juridiquement et foncièrement pour exempter complètement l’Église de toute juridiction civile. Le roi se sentit trahi par la volte-face de son ancien ami et convoqua le clergé à Westminster le 11 octobre 1163. Les évêques, en particulier ceux de York et de Londres, ne brillant jamais par leur courage abandonnèrent Thomas qui dut accepter oralement un compromis malgré de sérieuses réserves. À ces constitutions de Clarendon (30 janvier 1164). Henri était outré du refus de Thomas de sacrer son fils Henri ‘le jeune roi’, son protégé, et de dispenser le mariage de son frère Guillaume avec Isabelle de Warenne.
Saint Thomas fut convoqué à Northampton le 8 octobre 1164 pour répondre de l’accusation de contester l’autorité royale (autant dire lèse-majesté) et de forfaiture dans son emploi de chancelier. Thomas dénia à l’assemblée le droit de le juger et en appela au pape. Dans sa lettre au pape, il exaltait le principe de supériorité pontificale, notamment en matière judiciaire. Il attaqua les évêques anglais ralliés au roi qui méconnaissaient le principe de la hiérarchie ecclésiastique. Il s’exila volontairement le 2 novembre 1164 pour la Bourgogne où séjournait Alexandre III à Sens qui refusa les légats demandés par Henri II pour trancher. Son ami, Nicolas, prieur augustinien de la léproserie du Mont-aux-Malades vint le soutenir.
Grâce au prieur du Mont-aux-Malades, Saint Thomas se réfugia à l’abbaye de Pontigny, fille de Cîteaux (fin 1164-1166) puis de Sainte-Colombe à Saint-Denis-lès-Sens (1166-1170) car l’ordre cistercien fut menacé par le roi de représailles. Henri II s’attaqua à ses biens et amis. Thomas fut nommé légat apostolique pour toute l’Angleterre (excepté l’archevêque d’York) et pouvait donc jeter l’interdit et excommunier, armes redoutables à l’époque car elles avaient des implications féodales. Toutes ses avances par des médiations ne reçurent qu’outrages et vexations. Il condamna donc solennellement les ‘coutumes’ à l’Ascension 1166 du haut du jubé de Vézelay. Le jour de sainte Marie-Madeleine, il prononça une sentence non d’excommunication mais comminatoire contre Henri II.
Nicolas essaya d’intervenir auprès de Mathilde, la mère du roi, gouvernant le duché à Rouen, mais en vain. Les autres tentatives de conciliation échouèrent, qu’elles vinssent du Pape ou du roi Louis VII, son soutien face au trop puissant vassal possessionné en Aquitaine, Normandie, du Maine et du Poitou). Henri II menaça le pape de schisme et Alexandre III faiblit, retirant la charge de légat à Thomas : « enfin, j’ai arraché à Hercule sa massue ». Des cris de toute la chrétienté (Louis VII de France et la reine Adèle de Champagne, le comte de Flandre) firent revenir le pape sur sa faiblesse. Thomas quitta Rouen à petites journées et s’embarqua près de Boulogne pour Sandwich où il accosta le 1er décembre 1170 pouvant lancer toute censure convenable contre qui il voudrait.
Le martyre de saint Thomas Becket
Le retour en Angleterre
- Je n’ai garde de fuir ; tout ce que je demande, c’est de donner mon âme pour celles en faveur desquelles mon Sauveur a donné tout son sang. Cependant, je vous défends, de la part de Dieu tout-puissant, de maltraiter qui que ce soit des miens.
Ne pouvant le traîner dehors, les assassins le frappèrent dans l’église.
- Je meurs volontiers pour le nom de Jésus et la défense de l’Église. L’actuelle cathédrale anglicane de Canterbury marque, l’emplacement du martyre par un autel à gauche du cœur surélevé de trois épées.
Le triomphe posthume de Saint Thomas
Saint Thomas assassiné dans sa cathédrale par les sicaires du roi souleva une vague d’indignation qui embarrassa bien le roi et favorisa les intérêts du Pape et de l’Église. Le martyr fut vénéré par le peuple, le roi soumis à l’interdit. Pour obtenir le pardon, il fit un humiliant pèlerinage au tombeau de Thomas et fut flagellé publiquement à Avranches (21 mai 1172) avant de revenir sur les constitutions de Clarendon. Des miracles ayant attesté la glorification de Thomas Becket, Alexandre III le canonisa le 21 février 1173, 14 mois après sa mort !
Mais la France, l’Écosse et la Flandre s’armaient contre lui. Ses fils Henri et Richard Cœur de Lion, soutenus par Aliénor d’Aquitaine, sa femme, prenaient les armes contre lui. Rentré en lui-même, il imputa ses revers à ses crimes et osa implorer le secours céleste par son intercession. Et il remporta une victoire contre le roi d’Écosse et parvint à faire rentrer l’Angleterre dans le devoir. Il vogua vers la Normandie où Rouen était assiégée par la coalition franco-flamande et de son fils Henri le Jeune. Ses ennemis demandèrent la paix le 14 août 1174 après avoir été défaits. Les Rouennais attribuaient la victoire à la Mère de Dieu mais Henri à S. Thomas. Il résolut donc de lui ériger un monument de sa reconnaissance qu’il établit au Mont-aux-Malades, notre église. Il donna plus de terrain aux chanoines, de nouveaux bâtiments claustraux où il transféra le prieuré. Leur maison changea de nom pour saint Thomas le martyr. Les religieux s’y transférèrent et laissèrent à la paroisse l’église Saint-Jacques, se réservant la chapelle Saint-Gilles comme lieu de sépulture à l’usage de la léproserie.
Prions saint Thomas pour que nous ayons à cœur de défendre avec le même courage contre les pouvoirs temporels de laïcs imbus d’orgueil les droits de Dieu, même contre l’habituelle lâcheté des prélats de l’Église prêts à toute compromission pour plaire au monde.