Homélie de Noël (25 décembre 2025)
Pourquoi le Fils de Dieu s’est-il incarné ?
« Homme, éveille-toi : pour toi, Dieu s’est fait homme. Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. Pour toi, je le répète, Dieu s’est fait homme. Tu serais mort pour l’éternité, s’il n’était né dans le temps. Tu n’aurais jamais été libéré de la chair du péché, s’il n’avait pris la ressemblance du péché. Tu serais victime d’une misère sans fin, s’il ne t’avait fait cette miséricorde. Tu n’aurais pas retrouvé la vie, s’il n’avait pas rejoint ta mort. Tu aurais succombé, s’il n’était allé à ton secours. Tu aurais péri, s’il n’était pas venu » (saint Augustin, Expergiscere, o homo). Le prologue de l’évangile de Jean, concluant chaque messe est aujourd’hui l’évangile du jour et fait méditer les raisons de cette Incarnation : « et Deus caro factus est » (et Dieu s’est fait chair et il a habité parmi nous).
L’argument de convenance
Jésus Christ, seconde personne de la Trinité, Fils éternel du Père, ne devait pas s’incarner comme nous avons la nécessité de nous sustenter pour survivre corporellement. Dieu, par sa toute-puissante, aurait pu restaurer notre nature de bien d’autres manières. Mais une nécessité n’est pas que ce sans quoi quelque chose ne pourrait exister. Elle s’entend aussi comme ce qui permet de parvenir à sa fin propre de la meilleure façon ou la plus adaptée, telle une voiture nécessaire comme moyen le plus convenable pour se rendre en un endroit isolé. ‘Montrons que Dieu, à la puissance de qui tout est également soumis, avait la possibilité d’employer un autre moyen, mais qu’il n’y en a eu aucun de plus adapté à notre misère et à notre guérison’ (saint Augustin in ST III, 1, 2).
Les raisons positives : progresser dans le bien
Renforcer les vertus théologales
* Notre foi est plus assurée, car Dieu nous parle en personne. « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils » (He 1, 1-2). L’acte de foi professe « Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que vous nous enseignez par votre Église, parce que c’est vous, la vérité même, qui les lui avez révélées, et que vous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper ». Si Dieu ne nous trompe pas, passer par des prophètes impliquait une certaine interprétation de l’élément humain, un risque d’erreur non négligeable (Dieu nous prévient de faux prophètes).
Mais l’Incarnation impose l’humanité du Christ assumée par le Fils éternel, par laquelle nous devons passer. Cela implique la médiation de l’Église fondée sur le témoignage oral des apôtres transmis par écrit par les évangélistes. Cette Tradition précède même l’Écriture qui exige une interprétation par le magistère bimillénaire de l’Église qui écarte les hérésies. La logique de l’Incarnation passe par les causes secondes, des hommes faillibles choisis par Dieu mais les fidèles sont assurés de l’objective efficacité des sacrements qui repose sur la seule puissance de Dieu et non la sainteté subjective des ministres (ex opere operato). Nous faisons donc plus confiance à Dieu qu’à ses saints. « Pour que l’homme marche avec plus de confiance vers la vérité, la Vérité en personne, le Fils de Dieu, en assumant l’humanité, a constitué et fondé la foi » (saint Augustin).
* L’espérance est par là soulevée au maximum. « Rien n’était aussi nécessaire pour relever notre espérance que de nous montrer combien Dieu nous aimait. Quel signe plus évident pouvons-nous en avoir que l’union du Fils de Dieu à notre nature ? » (saint Augustin). Si Dieu assume notre nature, ce n’est plus nous mais lui qui agira par nous. Non pas que nous n’ayons rien à faire. Dans le mouvement de Schönstatt, la Mater ter admirabilis (Mère trois fois admirable) est entourée de cette expression : « Nihil sine te, nihil sine nos » (rien sans toi, rien sans nous) car « Dieu, qui nous a créés sans nous, n’a pas voulu nous sauver sans nous » (saint Augustin, serm. 169, 11, 13 : PL 38, 923). Mais il faut s’ouvrir au maximum à Dieu pour le laisser agir en nous : par sa grâce, par les vertus théologales qui sont dons de Dieu. « Confie ton chemin au Seigneur et espère en lui et c’est lui qui agira » (Ps 36 [37], 5 Vulg.).
C’est la métaphysique de l’amitié (Jn 15, 15) où l’ami qui agit pour moi se dépossède de tout ce qu’il a fait pour moi afin de m’en laisser le mérite, comme un partage total de l’action puisque l’ami devient un autre moi-même : « l’âme de Jonathan fut attachée [conglutinata] à l’âme de David, et Jonathan l’aima comme son âme » (1 Sm 18). À la messe le prêtre applique les mérites de la Croix à celui pour lesquels on prie. Si nous sommes faibles, Dieu est fort : « Que dire de plus ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31).
* Notre charité est réveillée au maximum : « Quel plus grand motif y a-t-il de la venue du Seigneur que de nous montrer son amour pour nous ? (…) Si nous avons tardé à l’aimer, maintenant au moins ne tardons pas à lui rendre amour pour amour ». Jésus a prouvé son amour sur la Croix : « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13).
Renforcer les vertus morales pour accéder à la vie éternelle
L’Incarnation donne un modèle de vie à imiter. « L’homme, que l’on pouvait voir, il ne fallait pas le suivre ; il fallait suivre Dieu, que l’on ne pouvait voir. C’est donc pour donner à l’homme un modèle visible par l’homme et que l’homme pouvait suivre, que Dieu s’est fait homme » (saint Augustin). L’Incarnation est nécessaire à la pleine participation de la divinité qui est la béatitude de l’homme et la fin de la vie humaine. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu » (saint Augustin).
Les raisons négatives : nous éloigner du mal
L’erreur de Satan et de ses disciples contre le corps
Par ce mystère, l’homme apprend à se méfier du démon, auteur du péché. Satan se rebella contre Dieu qui voulait rendre bienheureuse sa créature humaine et renversait ainsi la hiérarchie ontologique : l’être incréé (Dieu), les êtres purement spirituels créés (anges d’où déchurent les démons), les êtres créés mixtes spirituels et corporels (homme composé d’âme et de corps), les êtres créés animés irrationnels sensibles ou non (animaux et plantes), et les êtres purement matériels (la pierre). « À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre que les anges [paulo minus ab angelis], le couronnant de gloire et d’honneur » (Ps 8, 5-5, Vulg). Les anges rebelles sont horrifiés par la perspective d’adorer la sainte humanité du Christ. « Si la nature humaine a été unie à Dieu au point de devenir une seule personne, que ces esprits mauvais et orgueilleux n’osent plus se préférer à l’homme sous prétexte qu’ils n’ont pas de chair » (saint Augustin).
L’Incarnation appelée kénose ou anéantissement détruit la présomption de l’homme « la grâce de Dieu est mise en valeur pour nous, sans aucun mérite de notre part, chez le Christ homme » tout comme son « orgueil qui est le plus grand obstacle à l’union avec Dieu, peut être réfuté et guéri par cette grande humilité de Dieu ». En effet, « le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2, 5-8).
Redécouvrir le don de Dieu pour lutter plus efficacement contre le mal
Ce mystère découvre toute la dignité de la nature humaine qu’on ne doit pas souiller par le péché. « Chrétien, reconnais ta dignité et, après avoir été uni à la nature divine, ne va pas, par une conduite honteuse, retourner à ton ancienne bassesse » (saint Léon) comme le chien retourne à ses vomissures (2 P 2, 22). L’Incarnation délivre l’homme de la servitude du péché : cela « devait se faire de telle sorte que le diable fût vaincu par la justice de l’homme Jésus Christ » (saint Augustin). Le Christ a satisfait pour nous, payant à notre place le prix dû à la justice divine. Un homme ne pouvait satisfaire pour tout le genre humain puisque nécessairement pécheur. Et Dieu n’avait pas à satisfaire. Il fallait donc que Jésus Christ fût à la fois Dieu et homme. « La puissance assume la faiblesse, et la majesté la bassesse ; ainsi ce qui convenait à notre guérison, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes pouvait mourir d’une part, et ressusciter de l’autre. S’il n’avait pas été vrai Dieu, il n’aurait pas apporté le remède, s’il n’avait pas été vrai homme, il n’aurait pas offert un modèle » (saint Léon).
Conclusion
Cette Incarnation est le point d’achoppement avec les Protestants, les Juifs, les Musulmans (« nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes » 1 Co 1, 23). Elle doit être adorée par les vrais Chrétiens catholiques et susciter en nous une action de grâces pour tant d’amour reçu. Dieu s’est fait petit enfant pour se laisser toucher par nos sales pattes. N’ayons pas peur de le prendre dans nos bras, comme saint Philippe Neri en reçut la grâce mystique.