Homélie de la messe de la nuit de Noël (24 décembre 2025)
Commentaire thomiste de l’évangile de la vigile (Mt 1, 18-21)
L’évangile de la messe du 24 décembre matin suit la longue généalogie de Jésus donnée par Matthieu (1-17) de manière descendante et divisée en 3 périodes de 14 générations. Le fils de Dieu s’inscrit dans cette longue lignée de 42 générations, étant fils de David par sa mère et son père nourricier saint Joseph. Cette généalogie se fonde sur un mode de génération normal, par l’union charnelle (quand bien même des miracles intervinrent à cause de l’âge des parents). Mais si jusqu’ici, l’Écriture disait : voici comment Abraham engendra Isaac, etc…, désormais (v. 18) elle présente un nouveau mode : « mais la génération du Christ s’est faite ainsi ».
La génération du Christ
Présentation de la mère de Jésus
Saint Matthieu présente la mère de Jésus sous trois aspects, avec son statut de fiancée, sa dignité de mère et son prénom. Pourquoi naître d’une fiancée s’il voulait que sa mère fût vierge ? Le témoignage rendu à sa virginité apparaît ainsi plus crédible. Autrement, Marie aurait semblé cacher une faute d’adultère, ce qui serait grave vu que Jésus est venu accomplir et non abolir la loi (Mt 5, 17). Fiancée, on la croyait plus facilement (Ps 92, 5, Vulg : Tes témoignages sont rendus plus crédibles). Elle avait besoin de la protection d’un homme pour fuir en Égypte et en revenir. Enfin, il fallait dérober à la vue de Satan son enfantement : « le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance » (Ap 12, 4). En outre, cela annonce le mariage mystique de Jésus avec l’Église. Les enfants engendrés spirituellement par le baptême sont l’œuvre de Dieu et non pas de la pastorale humaine. Un fiancé charpentier/menuisier anticipe le bois de la croix, œuvre du salut, comme la crèche.
« Sa mère » indique la très haute dignité de Marie, incomparable : Theotokos en grec = Mère de Dieu : « dans la génération des hommes ordinaires, une femme est appelée mère, et cependant cette femme ne donne pas l’âme raisonnable, qui vient de Dieu, mais fournit la substance pour la formation du corps. Pour cette raison, la femme est appelée mère de tout l’homme, parce que ce qui vient d’elle est uni à l’âme raisonnable. De même, puisque l’humanité du Christ provient de la bienheureuse Vierge, en raison de l’union à la divinité, la bienheureuse Vierge est appelée non seulement mère d’un homme, mais aussi mère de Dieu, bien que la divinité ne vienne pas d’elle, comme chez les autres, l’âme raisonnable ne vient pas de la mère » (saint Ignace d’Antioche).
Le prénom Maryam signifie « étoile de la mer » (Stella Maris) ou ‘illuminatrice’ car, comme la lune sous ses pieds (Ap 12, 1), elle reflète parfaitement la lumière du soleil, son Fils.
Le mode de génération
« Avant qu’ils n’eussent habité ensemble » (v. 18) car, contrairement au vice actuel, on se mariait vierge et on ne concubinait pas avant le mariage. La virginité perpétuelle de Marie concentre les attaques de nombreux détracteurs (Elvidius par ex.) niant le dogme de la virginité ante partum, in partu et post partum. On se fiançait quelques jours avant les noces, la fiancée n’était pas sous la garde de l’homme. Aux noces, elle était conduite à la maison de son mari.
Joseph fut dépassé par la grossesse de sa fiancée. Dieu opéra miraculeusement cette conception appropriée à l’Esprit-Saint : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre » (Lc 1, 35). L’Esprit-Saint est l’amour intratrinitaire entre le Père et le Fils répandu à travers le monde. Le plus grand amour était l’Incarnation du Fils voulue par le Père : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). La grâce vient de Saint-Esprit (« Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit », 1 Co 12, 4) et Dieu ne nous fit jamais de plus grande grâce que de nous offrir son Fils dans la chair. Le Verbe procède de l’intelligence du Père comme une idée est conçue dans notre raison. Elle demeure cachée aux hommes, à moins d’être exprimée par le verbe proféré. Avant l’Incarnation (Jn 1, 1), le Fils était caché. Le Verbe incarné s’exprime par le souffle de l’Esprit.
Le Christ voulut naître d’une vierge pour quatre raisons. Si le Christ était né d’une union conjugale, il aurait contracté le péché originel, ce qui ne convenait pas au Sauveur du péché. Le Christ enseigne la pureté : « il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du royaume des Cieux » (Mt 19, 12). Rabelais dans « Sapience n’entre point en âme malivole » (Pantagruel, 1532) reprenait « La Sagesse ne peut entrer dans une âme qui veut le mal, ni habiter dans un corps asservi au péché » (Sg 1, 4). Le ventre de sa mère devait être immune de toute corruption. Comme une parole bonne émane d’un cœur sans corruption, le Christ voulut naître d’une vierge : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui rend l’homme impur (…). Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche passe dans le ventre pour être éliminé ? Mais ce qui sort de la bouche provient du cœur, et c’est cela qui rend l’homme impur. Car c’est du cœur que proviennent les pensées mauvaises : meurtres, adultères, inconduite, vols, faux témoignages, diffamations. » (Mt 15, 11. 17-19).
Le rapport avec Joseph
Saint Joseph
Joseph est déclaré juste. Mais il est meilleur que les bons de l’Ancien Testament réunis dans le sein d’Abraham ou limbes des patriarches car eux étaient de gros pécheurs (Abraham prostitue sa femme Sarah, David l’adultère, Salomon l’idolâtre). Joseph absent à l’Annonciation et à la Visitation qui suivit, la trouva enceinte à son retour. Plutôt que de le faire soupçonner un écart de conduite qui aurait pu l’incriminer aussi et donc qu’il aurait voulu la répudier discrètement car un juste devait dénoncer ce péché retombant sinon sur tout le peuple (« d’après le juste décret de Dieu, ceux qui font de telles choses méritent la mort ; et eux, non seulement ils les font, mais encore ils approuvent ceux qui les font », Rm 1, 32). Joseph connaissait la pureté de Marie et la prophétie qu’une vierge concevrait le Messie (Is 7, 14 ; 11, 1) mais s’estimait indigne de cohabiter avec une telle sainteté comme St Pierre en Lc 5, 8 : « Éloignez-vous de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur »). ‘Nollet eam traducere’ plus que « ne voulait pas la dénoncer publiquement » (traduire en justice) signifie plutôt « la prendre comme épouse » car indigne.
Sa relation avec l’ange
« Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe ». Joseph retournait cela dans son esprit. Il délibérait en lui-même avec sagesse et méritait d’être renseigné et consolé. Saint Gabriel connaissait le secret de la virginité de Marie (Lc 1, 6). « L'ange du Seigneur campe à l'entour pour libérer ceux qui le craignent » (Ps 33, 8). S’il ne révéla pas avant la vérité à saint Joseph, c’était pour que son témoignage fût plus crédible, comme saint Thomas pour la résurrection. Joseph enlève un éventuel doute sur la pureté. L’ange se révèle par un songe et pas par une apparition qui ne lui convenait pas puisqu’il avait la foi et était croyant. « La prophétie est un signe non pour ceux qui ne croient pas, mais pour les croyants » (1 Co 14, 22), or songe et prophétie se rapprochent : « Quand il y a parmi vous un prophète du Seigneur, je me fais connaître à lui dans une vision, je lui parle dans un songe » (Nb 12, 6). Certes, la Vierge Marie était autant croyante mais c’était plus difficile d’y croire que pour Joseph qui voyait déjà le fruit de l’Incarnation dans son ventre arrondi.
L’ange refuse toute séparation entre Marie et Joseph. Il requiert toute l’attention de Joseph appelé « Fils de David » et comprend la référence à Is 7, 13 : « Écoutez, maison de David ! Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes : il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu ! ». Il ne doit pas être incrédule comme les Juifs face à la parthénogénèse. La peur est normale face au surnaturel mais l’ange l’invite à prêter attention, sans crainte, comme Zacharie ou Marie (Lc 1, 13.30). Qu’il la prenne chez lui comme son épouse et célébre ainsi les noces.
Jésus Sauveur des hommes
L’ange dévoile le mystère de l’Incarnation. L’ange exprime clairement que Marie conçoit et que l’auteur de la conception est l’Esprit Saint. Mais il est imprécis sur le Fils conçu : « ce qui est né en elle » (v. 20 : τὸ γὰρ ἐν αὐτῇ γεννηθὲν n’est pas ‘l’enfant qui est engendré en elle’). Il souligne l’ineffable et l’incompréhensible tant aux hommes qu’aux anges (d’où la rébellion de Satan face à cette hiérarchie perturbée). Le Fils ne reçoit rien du Saint Esprit pour sa nature divine mais suivant la nature humaine, la puissance active est celle du Saint Esprit.
Le fils que Marie mettra au monde n’est pas ‘pour toi, Joseph’ comme à Zacharie : « ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils, et tu lui donneras le nom de Jean » (Lc 1, 13). Jésus n’est ni l’œuvre de la semence de saint Joseph ni né pour lui mais pour le salut de tous. La joie est pour le monde entier, comme les anges aux bergers : « voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple » (Lc 2, 10). Pour que Joseph ne se sente pas inutile, sa mission est de lui donner un nom. Il sert Dieu par cet acte important chez les Juifs au 8e jour, à la circoncision. Jésus est le nom imposé par Dieu qui signifie : Dieu sauve, non pas d’un ennemi charnel extérieur comme les Égyptiens, Philistins ..etc.., mais de l’ennemi intérieur, le péché, prérogative divine « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a autorité sur la terre pour pardonner les péchés » (Lc 5, 24).