23e Pentecôte (5/11 - Purgatoire)

Homélie du 23e dimanche après la Pentecôte (5 novembre 2023)

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Le Purgatoire

Le mois de novembre est dédié aux pauvres âmes du Purgatoire, si négligé.

  1. Le jugement personnel
    1. Dieu seul juste juge

À la mort, l’âme se sépare d’avec le corps qui va vers la corruption tandis qu’elle est jugée personnellement par le Fils : « Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts » (2 Tim 4, 1). Ce jugement unique et définitif, est prononcé par le seul juge parfaitement juste : « Seigneur de l’univers, vous qui jugez avec justice, qui scrutez les reins et les cœurs, » (Jér 11, 20 ; cf. Ps 88/89, 15 et 93/94, 15). Dieu seul pénètre au plus intime de notre intériorité et connaît exactement les intentions, les circonstances aggravantes ou atténuantes, au-delà des faux-semblants n’abusant que les hommes.

N'usurpons pas la place de Dieu en jugeant : « juger son frère, c’est dire du mal de la Loi et juger la Loi. Or, si tu juges la Loi, tu ne la pratiques pas, mais tu en es le juge. Un seul est à la fois législateur et juge, celui qui a le pouvoir de sauver et de perdre. Pour qui te prends-tu donc, toi qui juges ton prochain ? » (Jc 4, 11-12). Cependant, tout acte ou pensée revient, in fine, à juger. Je fais ceci ou j’évite cela car j’ai discerné (kritein qui donne critique) que c’était bien ou mal. Si on ne peut entrer dans la complexité d’une subjectivité, on peut toutefois juger objectivement ses actes et dénoncer le péché. Si on est plus choqué par rien, on accepte tout, même ce que condamne Dieu et l’Église et on tombe dans le relativisme.

La mort arrête définitivement les comptes pour ce jugement. D’après sainte Catherine de Gênes (1447-1510), dans son Traité du Purgatoire : « au terme de sa vie, l’âme demeure à jamais confirmée dans le bien ou dans le mal qu’elle a choisi selon qu’il est écrit ‘Là où je te trouverai’, c’est-à-dire à l’heure de la mort, avec la volonté ou fixée dans le péché ou repentante, ‘là je te jugerai’ [adage de droit : ubi te invenero, ibi te judicabo]. À ces jugements, il n’y a pas d’appel » (ch. IV).

Si l’âme ne va pas en enfer, elle ira au Paradis, mais peu l’atteignent immédiatement à leur mort. La plupart passent par le Purgatoire. La volonté de l’âme défunte est en parfaite adéquation avec Dieu et en accepte le verdict[1] car le Seigneur veut se faire comprendre : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15). Il passe en revue notre vie, ses actes bons et mauvais et ce qui manque pour sa purification[2].

    1. Dieu punit aussi

Dieu est juge et récompense donc les mérites et vertus et punit pour réparer les péchés (mal de peine après un mal de faute), soit dès ici-bas soit dans l’au-delà. « lorsque nous sommes jugés par le Seigneur, c’est une correction que nous recevons, afin de ne pas être condamnés avec le monde » (1 Co 11, 32). Le monde, qui est sous le pouvoir de Satan, va à sa perte. La sainteté est aussi mise à l’écart, séparation d’avec le monde pour que l’homme spirituel renaisse d’en-haut (Jn 3, 3). Quel accouchement serait sans douleur ?

« Quand le Seigneur aime quelqu’un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu’il accueille comme ses fils. Ce que vous endurez est une leçon. Dieu se comporte envers vous comme envers des fils ; et quel est le fils auquel son père ne donne pas des leçons ? Si vous êtes privés des leçons que tous les autres reçoivent, c’est que vous êtes des bâtards et non des fils. D’ailleurs, nos parents selon la chair nous faisaient la leçon, et nous les respections. Ne devons-nous pas d’autant plus nous soumettre au Père de nos esprits pour avoir la vie ? Les leçons que nos parents nous donnaient en croyant bien faire n’avaient qu’un effet passager. Mais celles de Dieu sont vraiment pour notre bien : il veut nous faire partager sa sainteté. Quand on vient de recevoir une leçon, on n’éprouve pas de la joie mais plutôt de la tristesse. Mais plus tard, quand on s’est repris grâce à la leçon, celle-ci produit un fruit de paix et de justice » (He 12, 6-11).

Aujourd’hui on ne croit plus à la justice immanente. Certes Job empêche de systématiser sur les malheurs qui n’arriveraient qu’aux méchants et l’aveugle-né montre que ni lui ni ses parents n’avaient péché (Jn 9, 1-2). Toutefois, nul ne peut nier qu’il nous faille parfois un malheur pour grandir, se départir d’une certaine présomption, orgueil ou je ne sais quoi. « À quelque chose, malheur est bon ». Notre cœur est si dur que le Seigneur doit parfois l’assouplir au marteau comme le boucher.

« Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : ‘Ma tentation vient de Dieu’. Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne. Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’entraîne et le séduit » (Jc 1, 13-14). Si Dieu ne tente pas dans le but de faire tomber comme Satan, il permet que le diable nous tente ou il nous corrige par les hommes pour nous aguerrir et affermir. La miséricorde est l’attribut essentiel de Dieu mais celui qui ne veut pas passer par cette porte passera par celle du jugement[3] : donc confessons-nous ! Les pharisiens ne critiquent pas le divorce mais Jésus, contrairement à un singulier renversement actuel de pure mauvaise foi.

  1. Le Purgatoire
    1. Enracinement biblique

Les Protestants méconnaissent l’enracinement théologique du Purgatoire : « ils trouvèrent sous la tunique de chacun des morts des objets consacrés aux idoles de Jamnia, ce que la Loi interdit aux Juifs. Il fut évident pour tous que c’est pour cette raison qu’ils avaient succombé. Tous bénirent donc la conduite du Seigneur, le juge impartial qui rend manifestes les choses cachées. Puis, ils se répandirent en supplications pour demander que le péché commis soit entièrement effacé. Le noble Judas (…) organisa une collecte auprès de chacun et envoya deux mille pièces d’argent à Jérusalem afin d’offrir un sacrifice pour le péché. C’était un fort beau geste, plein de délicatesse, inspiré par la pensée de la résurrection. Car, s’il n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, la prière pour les morts était superflue et absurde. Mais il jugeait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui meurent avec piété : c’était là une pensée religieuse et sainte. Voilà pourquoi il fit ce sacrifice d’expiation, afin que les morts soient délivrés de leurs péchés » (2 Maccabées [livre des Martyrs d’Israël] 12, 39-46). Le Seigneur, avec l’exemple du péché contre l’esprit, évoque ce pardon post mortem : « Si quelqu’un parle contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné, ni en ce monde-ci, ni dans le monde à venir » (Mt 12, 32).

Mais comment réparer après la mort quand la puissance d’action est suspendue ? Si l’on ne peut plus agir, on peut encore subir les peines sensibles et du dam. Cette passivité pour nous est une action de Dieu en nous. Et les vivants peuvent agir pour l’âme défunte. Dans la guérison du paralytique (Mc 2, 1-12), les porteurs du grabat osèrent ‘faire violence’ pour rentrer dans le Royaume de Dieu (Mt 11, 12 et Lc 16, 16), pour faire passer par le toit jusque devant le Seigneur une personne ayant besoin d’être pardonnée.

    1. L’expiation des fautes est voulue par l’âme au Purgatoire

« À l’instant où elles quittent la terre, elles voient pourquoi elles sont envoyées en Purgatoire, mais plus jamais après : autrement, elles retiendraient quelque chose de personnel, ce qui ne peut avoir accès en ce lieu » (ch I, p. 27). « Elles sont si satisfaites des dispositions divines à leur égard qu’elles aiment tout ce qui plaît à Dieu, de la manière que cela lui plaît et elles ne peuvent plus du tout penser à elles-mêmes » (p. 28-29). « La rouille du péché est l’obstacle et le feu le consume sans trêve (…). De même qu’un miroir recouvert ne peut jamais refléter le soleil, non par aucun défaut de cet astre, mais simplement à cause de la résistance du couvercle, de sorte que, si le couvercle était graduellement déplacé, la surface du miroir serait peu à peu accessible aux rayons du soleil, ainsi en est-il de la rouille qui recouvre l’âme. En Purgatoire, les flammes la consument constamment et quand cette rouille disparaît, l’âme reflète de plus en plus parfaitement le vrai soleil qui est Dieu » (ch II, p. 28-29).

Contrairement à l’enfer, ces âmes de l’Église souffrante ont l’espérance qu’est la certitude d’en sortir[4]. Sachant qu’elles accomplissent parfaitement la volonté de Dieu, elles sont à la fois dans la joie et la grande souffrance, concomitamment. De même, elles n’ont plus de culpabilité contrairement aux damnés.

En conclusion, le christianisme, est une entreprise de divinisation de l’homme qui ne peut aboutir sans le Purgatoire : « comprenez bien que tout ce qui est humain est entièrement transformé par notre Dieu tout-puissant et miséricordieux et que c’est l’œuvre du Purgatoire » (ch. XVII, p. 64).

 

[1] Yves de Boisredon, Bernard Peyrous (éd.), éd. de l’Emmnauel, 2e éd., 2002, p. 36 : « les âmes du Purgatoire sont en conformité parfaite avec la volonté de Dieu » (ch. V) ; p. 29 : « la volonté de ces âmes est si complètement unie à celle de Dieu par la charité parfaite et elles se trouvent si heureuses d’être placées sous sa divine dépendance, qu’on ne peut dire que leur peine soit une souffrance. D’autre part, il est également vrai de dire qu’elles endurent des tourments qu’aucune langue ne peut décrire » (ch. II).

[2] « La plus grande souffrance de ces âmes est de voir en elles ce qui déplaît à Dieu et de découvrir que, malgré sa bonté, elles y ont consenti » (ch. VIII, p. 42). « Cet acte final d’amour accomplit son œuvre à lui seul, trouvant l’âme avec tant d’imperfections cachées que leur simple vue, si elles lui étaient dévoilées, suffirait à la faire tomber dans le désespoir. Cette dernière opération cependant les consume toutes, et, quand elles sont détruites, Dieu le fait connaître à l’âme pour lui faire comprendre l’action divine qui lui a rendu sa pureté » (ch. XI, p. 50).

[3] p. 56 : « Vous vous abritez sous l’espoir de la grande miséricorde divine, que vous exaltez sans cesse, ne voyant pas que votre résistance à cette souveraine bonté sera votre condamnation ? Sa bonté devrait vous incliner à faire sa volonté et non vous encourager à persévérer dans la vôtre » (ch. XV).

[4] p. 39 : « Mais les âmes du Purgatoire ont l’espoir certain de le voir et d’être entièrement rassasiées, c’est pourquoi elles endurent la faim et souffrent toutes les peines, jusqu’au moment où elles entreront en l’éternelle possession de ce Pain de Vie, qui est Jésus-Christ, notre amour » (ch VII).

Date de dernière mise à jour : 05/11/2023