18e Pentecôte/S. Rosaire (lect. thom. ép.)

Homélie du 18e dimanche après la Pentecôte/solennité du Rosaire, 1er octobre 2023

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Lecture thomiste de l’épître (1 Co 1, 4-8)

Saint Paul rend grâces du bien qu’il trouve chez les Corinthiens afin qu’ils supportent mieux la correction de leurs défauts dont il les instruira. Ce bien est soit déjà reçu, soit à venir.

  1. Remercier pour les dons déjà reçus
  1. Le Christ est mort pour moi

L’expression d’appropriation « mon Dieu » par l’apôtre des gentils montre qu’il ne prêche pas en général, même si bien sûr Dieu prend soin de toute créature par sa providence et donc qu’il est aussi notre Dieu. Outre l’expression très hébraïsante (mon Dieu et votre Dieu), il part aussi de son expérience de conversion radicale. Il est facile de parler de Jésus sauveur des hommes in genere. Mais Paul a fait la rencontre personnelle du Christ sur le chemin de Damas. Le Fils de Dieu ne compte que jusqu’à un finalement. Il veut entamer une histoire d’amour avec chacun de nous en propre, car il est venu sauver chaque croyant en le prenant l’un après l’autre par la main, in specie : « Vous êtes mon Dieu et je vous rend grâces » (Ps 117, 28).

Ensuite, son action de grâces est continuelle, parce qu’elle procède de l’affection de la charité continuellement dans son cœur : « Le véritable ami aime en tout temps » (Pr 17, 17, Vulg.). Quoiqu’il les aimât en tout temps, il rendait grâces pour eux à toutes les heures consacrées à la prière. Il remercie « pour vous », se réjouissant de leurs biens, comme s’ils eussent été les siens. L’union de la charité est exprimée par l’ami de cœur du futur roi : « Jonathan s’attacha de toute son âme à David et il l’aima comme lui-même » [comme sa propre âme] (Sam 18, 1). Dans l’amour ce qui est à moi est à toi et vice-versa, les deux personnes ne faisant « qu’une seule âme et un seul cœur » (Ac 4, 32). Paul éprouve aussi la joie d’un père pour ceux engendrés dans la foi (1 Co 4, 15) qui suivent la bonne voie : « Rien ne me donne plus de joie que d’apprendre que mes enfants marchent dans la vérité » (3 Jn 4).

Saint Paul remercie d’une manière générale Dieu pour la grâce de Dieu, venue par la médiation du Christ, qui ne garde rien pour lui mais a tout donné en offrant sa vie sur la croix : « Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce » (Jn 1, 16). Puis d’une manière spéciale, en montrant l’abondance de cette grâce (v. 5) : pour ce qui concerne le salut, il les a enrichis : « lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8, 9). L’admirable commercium – admirable échange – est que lui qui avait tout, étant Dieu, s’est dépouillé pour nous partager à nous qui n’avions rien et méritions l’enfer, en nous adoptant comme fils et fille de Dieu dans l’unique Fils éternel.

  1. La parole de Dieu est abondamment diffusée

Ces richesses concernent « la parole et de la connaissance de Dieu ». La parole est tant le Logos, le Verbe éternel, que les mots qui le communiquent, ceux de la prédication, toujours bien imparfaite pour transmettre cette réalité divine. Le premier prédicateur au nom de Jésus fut saint Jean-Baptiste (cf. prologue selon saint Jean à chaque fin de messe) : « Jean était la voix, mais le Seigneur au commencement était la Parole. Jean, une voix pour un temps ; le Christ, la Parole au commencement, la Parole éternelle. Enlève la parole, qu’est-ce que la voix ? Là où il n’y a rien à comprendre, c’est une sonorité vide. La voix sans la parole frappe l’oreille, elle n’édifie pas le cœur. Cependant, découvrons comment les choses s’enchaînent dans notre propre cœur qu’il s’agit d’édifier. Si je pense à ce que je dis, la parole est déjà dans mon cœur ; mais lorsque je veux te parler, je cherche comment faire passer dans ton cœur ce qui est déjà dans le mien. Si je cherche donc comment la parole qui est déjà dans mon cœur pourra te rejoindre et s’établir dans ton cœur, je me sers de la voix, et c’est avec cette voix que je te parle : le son de la voix conduit jusqu’à toi l’idée contenue dans la parole ; alors, il est vrai que le son s’évanouit ; mais la parole que le son a conduite jusqu’à toi est désormais dans ton cœur sans avoir quitté le mien. Lorsque la parole est passée jusqu’à toi, n’est-ce donc pas le son qui semble dire lui-même : Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue ? Le son de la voix a retenti pour accomplir son service, et il a disparu (…). Retenons la parole, ne laissons pas partir la parole conçue au fond de nous (…). Il est difficile de distinguer la parole de la voix, et c’est pourquoi on a pris Jean pour le Christ. On a pris la voix pour la parole ; mais la voix s’est fait connaître afin de ne pas faire obstacle à la parole. Je ne suis pas le Christ, ni Élie, ni le Prophète. On lui réplique : Qui es-tu donc ? Il répond : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la route pour le Seigneur. La voix qui crie à travers le désert, c’est la voix qui rompt le silence. Préparez la route pour le Seigneur » en ayant d’humbles pensées (sermon de saint Augustin).

Cette parole humaine passant par le truchement des hommes se fait audible dans toutes les langues car le catholicisme est l’unique religion véritablement universelle, parlant toutes les langues du monde comme déjà par la xénolalie (parler en langues étrangères jamais apprises), dès la Pentecôte qui fonda l’Église : « Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel (…). Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient. Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans son propre dialecte, sa langue maternelle ? » (Ac 2, 5-8). Saint Vincent Ferrier (1350-1419), Valencien, parlait dans sa langue catalane mais était compris par les Bretons.

Mais pour communiquer, encore faut-il avoir quelque chose à transmettre. Cette connaissance personnelle est autant nourrie par la prière que par l’étude. L’oraison vaut autant que la médiation des saintes Écritures, la lecture de la vie des saints ou l’étude théologique. « La sagesse lui a donné la science des saints » (Sg 10, 10, Vulg.) Scientia sanctorum est autant science des personnes saintes (sancti, masculin pluriel) que des réalités saintes (sancta, neutre pluriel) car les saints vivent de ces réalités d’en-haut qu’ils goûtent déjà mystiquement (« quae sursum sunt sapite », Col 3, 2). Dieu et sa Très sainte Mère préfèrent systématiquement les incultes comme voyants, prophètes, messagers car ils sont trop simples pour mal penser.

  1. Le témoignage du Christ dans l’Église

Le lien de charité est ce qui devrait unir l’Église. Nous ne devrions pas jalouser les âmes choisies (qui portent leur poids de sacrifice pour que leur mission soit fructueuse) car dans l’Église tout est nôtre : « Si vous aimez l’unité et si vous ne vous séparez pas d’elle, vous avez tout ce que possèdent les autres : enlevez l’envie, et tout ce qu’a votre frère devient vôtre, car ceux que séparent l’envie et la cupidité, la charité les unit » (saint Augustin).

« Le témoignage rendu au Christ s’est établi fermement parmi vous » (v. 6). Ni l’enseignement de la doctrine, ni la science droite ne seraient justes si elles s’écartaient du témoignage rendu à Jésus-Christ, ou si ce témoignage n’était pas fortement gravé dans le coeur par la foi car « celui qui hésite ressemble aux vagues de la mer que le vent agite et soulève » (Jc 1, 6). L’apostolicité de l’Église est une source d’authenticité : seule l’Église romaine est capable de remonter ainsi en toute vérité jusqu’aux apôtres, témoins de la vie de Jésus. « C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés » (Ac 10, 43). Jésus est la pierre angulaire sur laquelle est fondé le roc de saint Pierre : «  Oui, moi, je me rends témoignage à moi-même, et pourtant mon témoignage est vrai, car je sais d’où je suis venu, et où je vais » (Jn 8, 14). Cette fois-ci Dieu parle de lui-même, sans intermédiaires : « À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils » (He 1, 1). Les premiers chrétiens et tant d’autres sont morts martyrs pour que cette fois soit transmise intégralement, autre indice de véracité. « Aucun don de grâce ne vous manque » (v. 7) car au niveau global, Dieu est toujours généreux pour distribuer ses dons et charismes parmi tous les fidèles. La divine Providence donne à chacun, sans omission aucune, le nécessaire : « Saints du Seigneur, adorez-le : rien ne manque à ceux qui le craignent (…) qui cherche le Seigneur ne manquera d'aucun bien » (Ps 33, 10-11).

  1. Remercier pour les dons encore à venir

Mais cette abondance des dons déjà reçus de Dieu n’épuise pas sa générosité : « à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ » (v. 7). Aux saints qu’il s’est choisis avant la création du monde, Dieu se révélera non seulement par la gloire de l’humanité du Fils mais « tes yeux verront le roi dans sa beauté » (Is 33, 17), c’est-à-dire Dieu en son essence divine, un et trine. Dieu se montrera face à face, certes suivant les faibles capacités humaines. Voilà en quoi consiste la béatitude. « Dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est » (l Jn 3, 2). Cette vision de Dieu implique de le connaître : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17, 3).

Si posséder la vision dans l’au-delà rend bienheureux, ceux qui aiment suffisamment Dieu sont déjà bienheureux en espérance. Habituellement, le Seigneur laisse entrevoir à ses âmes privilégiées ce qu’il leur réserve, comme à la Transfiguration, pour leur permettre d’endurer les tribulations sur Terre : « heureux tous ceux qui l’attendent ! » (Is 30, 18). Cette attente n’est pas vaine en effet (v. 8) car le Christ n’abandonne pas les siens, pour qu’aucun ne se perde, si du moins il lui reste fermement attaché : « Après que vous aurez souffert un peu de temps, le Dieu de toute grâce, lui qui, dans le Christ Jésus, vous a appelés à sa gloire éternelle, vous rétablira lui-même, vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables » (1 P 5, 10). « La détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 3-5). Et nous savons que « celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé » (Mt 10, 22). Cette persévérance dans l’espérance n’implique pas d’impeccabilité, impossible. Simplement, quand nous péchons, confessons-nous et remettons-nous en route. Si nous ne sommes pas fidèles, Dieu, lui l’est dans son amour envers nous (2 Th 3, 3).

Comme le disciple n’est pas plus grand que le maître, nous devons prendre notre croix mais après la souffrance, nous partagerons aussi sa gloire. « Si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire » (Rm 8, 17). Faisons donc confiance à Dieu qui nous dit : « je ne te délaisserai pas, je ne t’abandonnerai pas » (Jos 1, 5).

Date de dernière mise à jour : 02/10/2023