14e Pentecôte (03/09 - lect. thom. ép.)

Homélie du 14e dimanche après la Pentecôte (3 septembre 2023)

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Lecture thomiste de l’épître (Ga 5, 16-24) : première partie

Après avoir expliqué que l’état spirituel consiste dans la charité, saint Paul traite de son principe, le Saint Esprit, que nous devons suivre car il nous apporte un triple bienfait. Notre extrait nous en livre les deux premiers.

  1. Délivrance de la servitude de la chair
  1. Intelligence ou Esprit Saint ?

« Marchez selon l’esprit » peut s’entendre avec une minuscule quand il convient de suivre notre intelligence où siège la foi dans notre âme. Saint Thomas d’Aquin n’utilise pas la tripartition (1 Th 5, 23) mais la bipartition de l’être humain : corps et âme. Il considère pratiquement esprit et âme comme synonymes (Ep 4, 23) ou bien l’esprit est assimilé à l’intelligence, et désigne la faculté supérieure rationnelle de l’âme (1 Co 14, 15). Ou bien encore avec une majuscule, ‘avancez sous la conduite de l’Esprit Saint’, par la pratique des bonnes œuvres car il porte les cœurs à faire le bien (Rm 8, 14). Finalement, cela revient un peu au même puisque l’action humaine doit suivre la loi naturelle inscrite par Dieu en nos âmes intelligentes. Il faut donc agir droitement suivant la raison, fondement de la vertu qui nous apporte la joie pour laquelle nous sommes faits : « Au plus profond de moi-même, je prends plaisir à la loi de Dieu » (Rm 7, 22).

L’esprit humain, en effet, de lui-même est vain : « vous ne devez plus vous conduire comme les païens qui se laissent guider par le néant de leur pensée » (Ep 4, 17). Et, s’il n’est gouverné d’ailleurs, il erre et s’attache à des « divinations, présages, songes, autant de balivernes : délires d’une femme qui accouche ! À moins qu’ils ne soient envoyés comme une visite du Très-Haut, n’y attache pas ton esprit » (Sir 34, 5-6 ; cf. « récits mythologiques, ces racontars de vieilles femmes, écarte-les » (1 Tm 4, 7) comme des « fables » (2 Tm 4, 4, Vulg.)).

La raison humaine ne peut demeurer stable qu’autant qu’elle est dirigée par le Saint Esprit. « Marchez selon l’Esprit » nous invite à nous laisser conduire et guider par l’Esprit Saint qui nous indique la voie. Nous ne pouvons connaître notre fin surnaturelle que grâce à lui : « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, [voilà] ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé » (1 Co 2, 9). Mais notre intelligence n’est pas la seule faculté mue par l’Esprit de Dieu (Rm 8, 14), aussi notre volonté mue par la charité qui recherche ce bien-là et en aplanit les difficultés (Ps 142, 10).

  1. Un cœur divisé en lui-même

Mais notre cœur est pourtant partagé. Il veut à la fois plusieurs choses contradictoires ! « Malheureux homme que je suis ! Qui donc me délivrera de ce corps qui m’entraîne à la mort ? » (Rm 7, 24). Nous serions entraînés vers une loi de mort (Rm 8, 1, Vulg.) si nous donnions trop de place à la chair. Chair entendue certes non contre les légitimes besoins de la nature corporelle voulue par Dieu car il ne saurait y avoir de répugnance : « Jamais personne n’a méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Église » (Ep 5, 29). Mais pour ce qui ne relève pas de la nécessité vitale, ce qui fait l’objet d’un combat spirituel (v. 17). Certes, c’est toujours l’âme qui convoite au sens strict et non la chair, mais elle passe par des organes corporaux qui suscitent la convoitise comme l’œil lorsqu’il s’agit de plaisirs corporels alors qu’elle n’a pas ces médiations pour les plaisirs spirituels comme les vertus, la contemplation des choses divines (Sg 6, 21). Lorsque l’âme aime, elle s’attache à l’objet aimé et sort d’elle-même pour le rejoindre. Si la chose désirée est inférieure à nous dans la hiérarchie de l’être, nous sommes rabaissés à ce niveau-là et nous contractons en notre âme une tâche (macula). Il faut mieux se contenter de les connaître car la connaissance fait entrer la chose en moi, qui s’en trouve ainsi élevée. Alors que si c’est une réalité supérieure comme Dieu ou les anges, qui dépasse notre entendement mais pas notre amour, nous sommes élevés jusqu’à ce niveau-là et notre dignité s’en trouve rehaussée.

Cette lutte fait que la chair ne nous laisse pas faire le bien désiré, : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas » (Rm 7, 19). Certes, le libre arbitre, portant sur l’élection, n’est pas détruit pour autant. Mais, si je puis éviter en particulier tel ou tel mouvement de la convoitise ou de colère, je ne peux en éviter toujours tous les mouvements, à cause du fomes peccati ou foyer de péché, soit la corruption de notre âme introduite par le premier péché.

Distinguons quatre sortes d’hommes qui ne font pas ce qu’ils voudraient. Les intempérants tout d’abord sont les pires. Ils suivent de propos délibéré les passions de la chair et ne cherchent nullement à lutter, comme des libertins qui ont érigé le vice en règle de vie : « ils prennent plaisir à faire le mal, ils se complaisent dans la pire des perversités » (Prov 2, 14). Par leur licence, ils font certes ce qu’ils veulent, en s’abandonnant à toutes leurs passions mais leur raison leur murmure qu’ils rejettent la loi naturelle et se comportent comme des animaux et ils ne font pas ce qu’ils devraient suivant leur nature humaine qui est spécifiquement rationnelle. Par contre, les incontinents se proposent de s’abstenir mais sont toutefois vaincus par leurs passions qui font qu’ils ne parviennent pas à tenir leurs résolutions. Les continents sont certes plutôt maîtres d’eux-mêmes mais parfois tombent aussi car en ne pouvant pas prévenir entièrement les mouvements de la convoitise, ils font ce qu’ils ne veulent pas. Enfin les tempérants font ce qu’ils veulent et ne convoitent plus, ayant réussi à dompter leur chair. Mais la concupiscence ne peut jamais être totalement éteinte comme symétriquement d’ailleurs la malice ne pourrait pas non plus étouffer totalement la raison. Si bien qu’il leur arrive parfois de commencer à céder à des désirs, allant alors au-delà de leur volonté.

  1. Délivrance de la servitude de la Loi
  1. Que reste-t-il de la loi ?

Mais au-delà de marcher selon l’esprit, il faut se laisser conduire par lui (v. 18). Ce qui advient quand on fait librement ce que l’Esprit suggère, quand il nous dirige et gouverne, et non ce vers quoi nous portent nos sens et sentiments. Ces hommes-là ne sont plus sous la loi. Mais il existe plusieurs types de préceptes légaux. Tout d’abord les préceptes cérémoniels. Dans la primitive Église, des justes observaient la loi en pratiquant ses œuvres, mais sans être sous sa dépendance, car ils ne plaçaient pas leur espérance dans ces œuvres-là. En ce sens Jésus-Christ lui-même fut soumis à la Loi (Ga 4, 4) qui est maintenant dépassée (par ex. la circoncision). Mais il existe par ailleurs des préceptes moraux, qui valent pour tous les fidèles parce que la loi fut donnée à tous. « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Mt 5, 17). Ceux préceptes moraux demeurent valides et même sont surélevés à leur valeur originelle plus exigeante (comme sur le divorce). Mais les justes ne sont plus contraints de l’extérieur car inspirés et mus de l’intérieur par l’Esprit Saint puisque leur moteur en est alors la charité. Les justes ayant en eux une loi intérieure, accomplissent spontanément ce que prescrit la Loi, qui si elle les oblige, ne les contraint plus. « Là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté » (2 Co 3, 17). Seuls les méchants sont contraints par la Loi : « une loi ne vise pas l’homme juste, mais les sans-loi » (1 Tm 1, 9).

  1. Effets de la loi : les œuvres de la chair

Ensuite, saint Paul prouve ses dires par les effets. Il désigne d’abord les œuvres de la chair opposées à celles de l’Esprit Saint. Saint Paul énumère des vices non charnels comme le culte des idoles, les hérésies, jalousies. Pour saint Augustin (La cité de Dieu, l. IV, ch. II), vivre sans autre fin que soi-même revient à vivre selon la chair, entendue pour l’homme entier. Par ailleurs, si spécifiquement des péchés sont consommés charnellement comme la luxure et gourmandise, tous sont généralement charnels en appesantissant également l’âme, l’empêchant d’atteindre la perfection de ses opérations. L’apôtre des Gentils parle des péchés mortels qui interdisent l’accès au royaume de Dieu mais y place pourtant des péchés véniels comme les contentions, jalousies... C’est que certaines œuvres sont mortelles d’après leur propre nature (homicide, fornication, idolâtrie) et d’autres seulement par la consommation de l’acte (la colère par le consentement au dommage causé au prochain, la gourmandise quand on use déraisonnablement des aliments juste pour la délectation, lors d’orgies).

L’ordre peut surprendre et diffère d’autres occurrences. Mais il faut y voir surtout la cause qui les spécifie. Relativement à soi-même, figurent deux œuvres de la luxure : la fornication, soit une relation hors-mariage entre deux libres suivant la nature appelé sinon impureté ou débauche (Ép 5, 5 et 2 Co 12, 21). Deux autres se rapportent aux actes eux-mêmes pour l’extérieur par l’impudicité (attouchements, regards, baisers…) (Ép 4, 19) ou l’intérieur par la dissolution s’adonnant à de mauvaises pensées (1 Tm 5, 11). Relativement à Dieu figurent le culte des idoles, « comble de tout mal » (1 Co 10, 7 ; Sg 14, 27) ou le pacte avec les démons par les maléfices ou magie au détriment d’autrui (1 Co 10, 20 et Ap 22, 15).

Enfin, l’Apôtre nomme neuf péchés contre le prochain allant de l’inimitié (haine dans son cœur contre le prochain cf. Mt 10, 36) à l’homicide en passant par les rivalités (Prov 20, 3 : « Gloire à l’homme qui évite un procès ! Tous les insensés s’y précipitent ! »), la jalousie (concurrencer quelqu’un pour atteindre un but identique), l’animosité car un seul l’atteint et l’autre est dans la colère (Jc 1, 20 ; Ép 4, 26) qui en vient ensuite aux coups dans les rixes ou querelles (Pr 10 12). Les divisions sont dissensions entre intérêts humains divergents ou (Rm 16, 17) ou sectes et hérésies quant aux intérêts divins (2 P 2, 1). Les envies quand ceux qu’on jalouse prospèrent conduisent au meurtre (1 Jn 3, 15). Quant aux choses nécessaires à la vie, saint Paul nomme sur la boisson l’ivrognerie (Lc 21, 34) et sur la nourriture, les ripailles (Rm 13, 13).

Après saint Paul évoque les œuvres de l’Esprit mais elles nous entraîneraient trop loin pour aujourd’hui.

Date de dernière mise à jour : 03/09/2023