S. Thérèse de Lisieux (24/09 - lect. thom. enfance spi)

Homélie de la solennisation de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (24 septembre 2023)

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Lecture thomiste (Mt 18, 1-4)

Si au ch. 17 de l’évangile selon saint Matthieu, Jésus avait montré la gloire à venir dans sa transfiguration, ici, il traite du cheminement qui y conduit. S’il rabrouera après ceux qui demandent de manière inappropriée une place d’honneur dans la gloire (ch. 20), il enseigne d’abord comment parvenir au Paradis. Deux voix mènent au Ciel : avant de voir une voie de perfection (ch. 19) annonçant la vie religieuse, il parle de la voie commune (ch. 18) de l’humilité avant de mettre en garde contre ceux qui scandaliseraient l’un de ces petits.

  1. L’humilité
  1. La question des apôtres

On ne parvient à la gloire que par l’humilité. Le Seigneur avait ordonné à saint Pierre de pêcher un poisson dans la bouche duquel il trouverait de quoi payer sa taxe pour le Christ et lui. Il confirmait ainsi la préséance de Pierre (Mt 16) parmi les apôtres. Mais encore bien faibles, ils souffraient d’animosité et d’envie envers le prince des apôtres alors qu’ils ne l’avaient pas ressenti lorsqu’il avait sélectionné trois apôtres et non un seul pour témoigner sur le Thabor de sa Transfiguration.

« Qui donc est le plus grand dans le royaumes des Cieux ? ». La grandeur au Ciel se mesure de manière inversement proportionnelle à la vaine gloire d’ici-bas. « Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes » (Ph 2, 3). Certes, les apôtres ne se disputaient pas la première place des réalités terrestres, mais célestes. Ils avaient déjà élevé leur intérêt vers le monde invisible : « notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit, mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Co 4, 18), ce qui était déjà un premier pas.

Ne faudrait-il pas chercher à être un grand saint, autrement dit l’excellence dans le royaume des cieux ? Si on l’entendait comme si nous nous en estimions dignes, cela ressortirait de l’orgueil et irait à l’encontre des apôtres. Mais désirer une grâce plus grande afin que nous soit donnée une gloire plus grande n’est pas mauvais : « Recherchez donc avec ardeur les dons [charismes] les plus grands » (1 Co 12, 31). De fait, les apôtres savaient que, dans la gloire, il y a diverses demeures dans la maison du Père (Jn 14, 2), comme une étoile diffère d’une autre par la clarté. Ils s’enquéraient donc parce qu’ils croyaient qu’une était meilleure que l’autre, à l’encontre de certains hérétiques qui ont affirmé le contraire.

  1. La réponse du Christ

Le Christ pose parfois des gestes prophétiques en plus des paroles de vie qu’il profère. Ainsi appela-t-il à lui un petit enfant. Saint Jean Chrysostome l’interprète d’un enfant si jeune qu’il est encore dépourvu de passions, comme exemple d’humilité à la manière du Sinite parvulos qui suit : « Laissez les petits enfants venir à moi » (Mt 19, 14). Après l’an mil Adémar de Chabannes avait assimilé saint Martial à cet enfant alors que Grégoire de Tours situait le premier évêque de Limoges vers 250. Certains pensaient que le Christ se donna lui-même en exemple, s’estimant petit : « je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27). D’autres comprenaient l’Esprit Saint qui nous rend petits enfants, car il est un esprit du Dieu d’humilité (Ez 36, 27).

Cet esprit d’enfance est une nécessité dans la conversion (Za 1, 3). Mais il s’agit pas de le devenir par l’âge mais par la simplicité :  « pour le bon sens [l’intelligence], ne soyez pas des enfants ; pour le mal, oui, soyez des petits enfants, mais pour le bon sens, soyez des adultes » (1 Co 14, 20). Sans doute certains péchés échappent à l’enfant comme la vaine gloire : « n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble. Ne vous fiez pas à votre propre jugement » (Rm 12, 16) ou la convoitise sexuelle : « Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur » (Mt 5, 28). De même, ils ne se rappellent pas les inimitiés.

La condition pour rentrer est donc l’humilité : « l’esprit humble obtiendra la gloire » (Prov 29, 23). « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » (Lc 18, 14). Elle accompagne la charité. Tout homme désire l’excellence qu’il aime. Mais plus un homme a d’humilité, plus il aime Dieu et plus il méprise sa propre excellence et moins il se l’attribue. De sorte que plus un homme a de charité, plus il a aussi d’humilité. On ne peut pénétrer au Paradis que par la foi aussi. Il faut une foi aussi abandonnée qu’un enfant envers son père, qui spontanément fait confiance, ne questionne pas son père sur sa bonté mais y croit et en a besoin pour survivre. « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui refusera de croire sera condamné » (Mc 16, 16). Il faut donc cette ingénuité parfois un peu naïve de l’enfant qui croit ce qu’on lui dit parce qu’il expérimente cette bonté de celui qui prend soin de lui, le soigne, le nourrit, l’habille et lui offre un toit qui soit un véritable foyer dans lequel s’épanouir.

  1. La petite voie thérésienne de l’enfance

Notre petite Thérèse chérissait cette parole : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25). Les savants ne comprenaient pas, comme Nicodème, membre du Sanhédrin, invité à une véritable conversion en renaissant d’en haut (Jn 3, 3.7). Comment rentrer dans le ventre de sa mère si ce n’est spirituellement et pas corporellement. Le sein dans lequel on puisse rentrer même adulte, c’est celui de l’Église qui enfante continuellement une nouvelle descendance spirituelle au Père éternel par le baptême dans l’eau et l’Esprit-Saint donné par le Père et le Fils.

Éduquer un enfant, du point de vue des réalités humaines d’ici-bas, consiste à le faire sortir de l’enfance, de la dépendance pour lui apprendre à tracer sa voie de manière autonome en ce monde. Mais éduquer un chrétien est difficile car exactement contradictoire. Le progrès chrétien consiste à voir qu’on ne peut rien faire de bien par soi-même : « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). La seule chose que nous ayons en propre est notre péché, qu’il faut certes offrir à Dieu en acte de confiance en sa divine miséricorde. Mais pour les vertus : « As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Co 4, 7). Raison pour laquelle il nous faut mendier sans cesse et offrir cette radicale incapacité à entreprendre quoi que ce soit pour que Dieu prenne toujours plus de place dans notre vie. Plus on avance dans la vie spirituelle, plus on comprend que nous ne mériterions que l’enfer, que nous ne sommes que néant. Mais un néant qui a du prix aux yeux de Dieu au point qu’il veuille donner son Fils pour nous, qu’il prend la peine dû pour ses créatures, lui l’innocent Créateur. Ne cherchons pas à faire quelque chose pour Dieu, qui n’en a pas besoin, lui créateur de toute chose. Cherchons à être avec Dieu, à nous laisser aimer pour que lui agisse en son serviteur à la fois inutile mais qui seul peut tenir la place dévolue rien que pour lui dans le cœur sacré de Jésus.

Date de dernière mise à jour : 24/09/2023