15e Pentecôte (21/09 - lect. thom. év.)

Homélie du 15e dimanche après la Pentecôte (21 septembre 2025)

Lecture thomiste de l’évangile de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-17)

Naïm est située à 10 km de Nazareth, au sud du mont Thabor où Jésus fut transfiguré. Un cortège nombreux sortait de la ville pour enterrer un jeune homme, le jour même de sa mort. L’émotion était forte et les pleurs nombreux car sa mère, veuve, n’avait plus que son fils unique et se retrouvait seule, sans protection. L’autre travelling présente une foule tout aussi importante, entourant Jésus qui voulait entrer dans la petite ville.

  1. La résurrection du fils de la veuve de Naïm
  1. Une scène touchante pour Jésus

Dieu opéra sept résurrections. L’Ancien Testament rapporte celles du fils de la veuve de Sarepta (1 R 17, 17-24) ; du fils de la Sumanite (2 R 4, 8-37) ; le cadavre jeté au contact des os d’Élisée (2 R 13, 20-21). Le Nouveau mentionne celles du fils de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-17) ; de la fille de Jaïre (Mc 5, 21-43 ; Mt 9, 18-26 ; Lc 8, 40-56) ; de Lazare (Jn 11, 3-44) ; enfin, durant la passion du Sauveur, ressuscitèrent d’un grand nombre de saints (Mt 27, 52-53). Le huitième jour intervint la huitième, résurrection de Jésus-Christ. Mais lui, vainqueur à jamais de la mort, vit pour ne plus mourir. La résurrection générale aura lieu au huitième jour.

Le Christ est bien plus efficace qu’Élie, qui dut s’y reprendre à trois fois avec le fils de Sarepta, ou qu’Élisée échouant avec son bâton qui s’étendit deux fois sur le cadavre du Sunamite ou que saint Pierre priant Dieu de rendre la vie à Thabitha/Dorcas (Ac 9, 36-43). Là éclate la puissance divine agissant directement et du premier coup. Jésus, plein d’autorité, parle en peu de mots : « je te le commande, lève-toi ». Il agit par la parole et par les actes en touchant le cercueil comme tout sacrement est parole efficace accompagnant un geste signifiant.

  1. L’autorité du Fils de Dieu

L’autorité (exhousia ἐξουσία) de Jésus émane de son être (ex-housia < οὐσία = l’essence), qui n’est pas divisé moralement comme chez nous. Il agit dans l’unité de l’unique personne divine ayant deux natures divine et humaine, chair du Verbe du Dieu tout-puissant dont il possède toute la vertu. De même que le fer pénétré par le feu, produit les effets du feu ; ainsi la chair unie au Verbe vivifiant tout, se pénètre d’une puissance vivifiante qui chasse la mort.

Il fallait un large public à cette manifestation de la puissance divine. Ces deux cortèges se rencontrant pouvaient témoigner partout de ce miracle, jusqu’en Judée (v. 17). Tant la culture juive que romaine prohibaient d’enterrer dans l’enceinte des villes, raison pour laquelle Jésus « a souffert sa Passion à l’extérieur des portes de la ville » (He 13, 12). Mais à la porte de la ville siégeaient aussi les juges : « Aux portes de la ville, on reconnaît son mari siégeant parmi les anciens du pays » (Prov 31, 23). Le mort se mit à parler. Ce jeune homme était saint Materne, un des 72 disciples envoyé par Pierre en Gaule Belgique évangéliser Cologne et Tongres (ancêtre du diocèse de Liège).

  1. L’Église pleure les fils qu’elle a perdus
  1. Une mère éplorée

Une lecture plus symbolique est possible. La vie touche la mort et se communique au cadavre. Le Christ nous ramène à la vie. La veuve est l’Église, épouse du Christ en deuil depuis le vendredi saint et seule après l’Ascension. Elle pleure ses fils allant vers leur perdition en s’abandonnant à leurs mauvaises passions, ignorant ou reniant le Christ mort pour eux. L’Église intercède et souffre « car les chutes des fidèles, pour être réparées, ne lui causent pas un moindre travail que l’enfantement de ceux qui n’ont pas cru encore ».

Le contraste est grand avec les débuts de l’Église (saint Laurent Justinien) :

« Resplendissante alors de tout l’éclat des joyaux spirituels dont l’Époux l’avait ornée au jour de ses noces, elle tressaillait de l’accroissement de ses fils en vertu comme en nombre, les appelant à monter plus haut toujours, les offrant à son Dieu, les portant dans ses bras jusqu’aux cieux. Obéie d’eux, elle était bien la mère du bel amour et de la crainte (Sir 24, 18), belle comme la lune, éclatante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (Cant 6, 10 ou Vulg 6, 9). Comme le térébinthe elle étendait ses rameaux (Sir 24, 16 ou Vulg 24, 22), et, sous leur ombre, protégeait ceux qu’elle avait engendrés contre la chaleur du jour, la tempête et la pluie. Tant qu’elle put donc elle travailla, nourrissant dans son sein tous ceux qu’elle parvenait à rassembler.

Mais son zèle, tout incessant qu’il fût, a redoublé depuis qu’elle en a vu plusieurs, et des multitudes, abandonner la ferveur première. Depuis nombre d’années, elle gémit en voyant s’étendre chaque jour l’offense de son Créateur, ses propres pertes et la mort de ses fils. Celle qui se revêtait de pourpre a pris la robe de deuil, et ses parfums n’exhalent plus leur odeur ; une corde a remplacé sa ceinture d’or, on ne voit plus sa brillante chevelure, et le cilice tient lieu d’ornement sur son sein (Is 3, 24). Aussi ne peut-elle arrêter maintenant ses lamentations et ses pleurs. Sans cesse elle prie, cherchant si par quelque manière elle n’arrivera point à retrouver dans le présent sa beauté passée, quoiqu’elle défaille presque en sa supplication, regardant comme impossible de redevenir ce qu’elle était. La parole prophétique s’est accomplie pour elle : Tous ils se sont détournés de la voie, ensemble ils sont devenus inutiles ; il n’y en a pas qui fassent le bien, il n’y en a pas même un seul (Ps 13, 3) !... Les œuvres multipliées par les enfants de l’Église contre les préceptes divins montrent bien, dans ceux qui les font, des membres pourris et étrangers au corps du Christ. L’Église, cependant, se souvient de les avoir engendrés dans le bain du salut ; elle se souvient des promesses par lesquelles ils s’étaient engagés à renoncer au démon, aux pompes du siècle et à tous les crimes. Elle pleure donc leur chute, comme étant leur vraie mère, et elle espère toujours obtenir leur résurrection par ses larmes. O quelle pluie de larmes est répandue ainsi tous les jours en présence du Seigneur ! (…) Qui dira son intime allégresse, quand elle reçoit vivants ceux qu’elle pleurait comme morts ? Si la conversion des pécheurs réjouit tellement le Ciel (Lc 15, 7), combien aussi la Mère ! Selon la mesure de la douleur qu’elle avait conçue de leur perte (Ps 93, 19), la consolation déborde alors en son cœur ».

  1. Tout peut être pardonné : le pont vers la vie éternelle

Cette autre Monique touche le cœur de Dieu par ses pleurs. Tout peut être pardonné, y compris l’apostasie des clercs, pourvu qu’elle soit regrettée avec un cœur contrit. Certains puristes (novatianistes, donatistes) prétendaient que prêtres et évêques tombés (lapsi) sous les persécutions de Dioclétien en 303 en livrant les livres sacrés au bûcher (traditores) ne pourraient jamais être réintégrés dans l’Église et que leurs sacrements seraient invalides. Or, le Christ agit directement par le prêtre dans tous les sacrements (ex opere operato). « Ainsi se trouve confondue l’erreur des Novatiens, qui, en voulant détruire la purification des pécheurs repentants, nient par la même que l’Église, notre mère, qui pleure la mort spirituelle de ses enfants, doive être consolée par l’espérance de leur rendre la vie ».

Le bois du cercueil comme celui de la croix, au contact du corps du Christ, de symbole de mort devient symbole de vie. Sainte Hélène trouvant une fosse avec de nombreuses croix, pour discerner la vraie Croix fit étendre le cadavre d’un enfant qui ressuscita. Le bois de la Croix est aussi un pont comme le prêtre est « pontifex », constructeur de pont entre l’ici-bas et l’au-delà, médiateur entre Dieu et les hommes. « Le premier pilier de ce pont est le baptême, le dernier est le retour du Seigneur et, entre ces deux piliers, elle jette le pont de l’Eucharistie ».

Date de dernière mise à jour : 21/09/2025