Homélie du 16e dimanche après la Pentecôte (28 septembre 2025)
Juste place du sabbat et au banquet (Lc 14, 1-11)
- La question du sabbat
- Typologie autour d’un conflit
Jésus fut plusieurs fois confronté aux scribes et pharisiens sur la question du sabbat. Les trois évangiles synoptiques (Mt 12, 1-13 ; Mc 2, 23-3, 5 ; Lc 6, 1-10) rapportent tous l’épisode des disciples arrachant des épis pour manger et la guérison de l’homme à la main desséchée. Mais seul Luc rapporte le miracle de la femme courbée juste avant notre passage (Lc 13, 10-16). Jean a aussi deux épisodes propres (Sondergut) avec le paralytique à la piscine de Bethesda portant son brancard (Jn 5, 1-17 comme poursuivi en Jn 7, 22-23) et l’aveugle-né près de la piscine de Siloé (Jn 9, 14-16).
Parmi toutes ces occurrences, à part un travail interdit (les épis), les guérisons dominent largement. Hormis la main desséchée, les trois autres miraculés partageaient le point commun d’avoir souffert d’une longue maladie. La femme courbée par le démon portait son infirmité depuis 18 ans (Lc 13, 11.16), le paralytique depuis 38 ans, ce qui touchait d’autant plus le Seigneur (Jn 5, 5-6). L’aveugle-né mendiant était assez grand pour témoigner, donc majeur, mais pas assez vieux pour avoir perdu ses parents (Jn 9, 20-23). La tradition l’appelle saint Sidoine ou Restitut (restitué à la vue), premier évêque de Saint-Paul-les-trois-châteaux dans la Drôme et second d’Aix-en-Provence après son compagnon saint Maximin.
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- Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat
De cette polémique à rebondissements sur ce qui est permis ou pas de faire le jour du sabbat (casher au sens plus large qu’alimentaire) ressortent plusieurs conclusions. Les Juifs, appliquant à la lettre la loi qui tue plutôt que d’en chercher l’esprit qui vivifie (2 Co 3, 6) interdisaient de guérir le septième jour. Leur cœur endurci (Mc 3, 5) rappelle le grand prêtre et le lévite ayant précédé le bon samaritain (Lc 10, 31-32) qui passaient leur chemin pour ne pas se rendre impurs avec le sang répandu. Le sabbat clôture la Création : repos de Dieu en ses créatures, repos pour Dieu de ses créatures. Mais ce jour où Dieu doit être honoré et remercié, est associé par Jésus à l’amour du prochain. Les deux tables de la loi sont inséparables : les trois commandements divins (le sabbat est le 3e) s’articulent avec les sept humains : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même » (Lc 10, 27).
Jésus dénonça l’hypocrisie des scribes et pharisiens qui subvenaient aux besoins de leurs animaux, les nourrissant ou sauvant ce qui étaient tombés dans un puits mais n’éprouvaient aucune empathiques pour leurs congénères. Leurs préceptes « humains, trop humains » (Nietzsche) bafouaient la volonté divine : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains (…). Vous rejetez bel et bien le commandement de Dieu pour établir votre tradition. En effet, Moïse a dit : Honore ton père et ta mère (…). Mais vous, vous dites : Supposons qu’un homme déclare à son père ou à sa mère : ‘Les ressources qui m’auraient permis de t’aider sont korbane, c’est-à-dire don réservé à Dieu’, alors vous ne l’autorisez plus à faire quoi que ce soit pour son père ou sa mère ; vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez » (Mc 7, 6-7. 9-13).
On peut se perdre dans des détails et oublier l’essentiel : « Quel malheur pour vous, pharisiens, parce que vous payez la dîme sur toutes les plantes du jardin, comme la menthe et la rue et vous passez à côté du jugement et de l’amour de Dieu. Ceci, il fallait l’observer, sans abandonner cela » (Lc 11, 42). Ils pervertissaient l’héritage reçu : « Moïse vous a donné la circoncision – en fait elle ne vient pas de Moïse, mais des patriarches –, et vous la pratiquez même le jour du sabbat » (Jn 7, 22, cf. Gn 17, 10-27). Mais Jésus remonte toujours à la source de la loi qu’est Dieu comme dans l’altercation sur le divorce : « ‘Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit la remise d’un acte de divorce avant la répudiation ?’. Jésus leur répond : ‘C’est en raison de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n’en était pas ainsi’ » (Mt 19, 7-8).
Jésus confond par l’histoire sainte ceux qui absolutisent un simple usage. L’histoire est maîtresse de vie face à toute idéologie. Les disciples étaient excusés d’avoir mangé du blé car David fit bien pire (Mt 12, 3-4) au tabernacle à Nob (1 Sm 21, 2-7). Ahimélek père d’Abitar (Mc 2, 26) lui donna des pains réservés aux sacrificateurs et l’épée de Goliath et paya de sa vie son hospitalité. Ce grand-prêtre s’adapta mieux que les hypocrites face à Jésus.
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- Ne pas empêcher Dieu d’agir, surtout par ses sacrements
En réalité, « mon Père est toujours à l’œuvre, et moi aussi, je suis à l’œuvre » (Jn 5, 17 ; cf. Jn 7, 21). Le Christ est venu sauver les hommes. Les miracles sont ces œuvres bonnes qui complètent l’enseignement donné au sabbat. Dieu agit continuellement par sa grâce et son œuvre est perpétuée par le prêtre administrant les sacrements le dimanche, 8e jour. Les piscines de Bethesda et Siloé (Jn 5, 2.7 et 9, 7) annonçaient le lavacrum, baptême purificateur. Le Christ avait créé l’homme le 6e jour, opéra ces miracles le 7e jour pour récréer l’homme le 8e jour par sa résurrection. L’homme gisait dans le puits sans fond du péché qui pervertit la charité fraternelle. Après le fratricide contre Abel, Joseph fut abandonné dans sa citerne (Gn 37, 24). Le pécheur ne peut s’en sortir seul. Comme le paralytique passant par le toit, il doit être porté jusqu’aux pieds de Jésus (Mc 2, 4) : « Seigneur, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine au moment où l’eau bouillonne » (Jn 9). L’aveugle-né recouvrant la vue évoque au baptême la lumière remise au parrain qui transmettra la foi à son filleul. La boue fabriquée par le Christ rappelle celle d’où fut tiré Adam, littéralement ‘le glaiseux’ (Jn 9, 6 et Gn 2, 7).
- Dernière place au banquet terrestre – première place au Ciel
Le banquet est la vie éternelle (Lc 14, 15 ; Ps 23, 5 ; Is 25, 6) où tout désir sera comblé. Les besoins corporels sont l’image des besoins spirituels. La soif est celle de l’âme : « comme un cerf altéré cherche l'eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu » (Ps 42, 1). Dieu seul y distribue les places suivant les mérites. Jacques et Jean voulant siéger à droite et à gauche du Christ furent rabroués (Mt 20, 20-23). Dieu seul juge en dépassant les apparences contrairement à Samuel pensant oindre Éliab, l’aîné de Jessé, plutôt que David, oublié de la fratrie : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté. Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur » (1 Sm 16, 7). Il est seul capable de sonder les reins et les cœurs (Jr 11, 20 ; Ap 2, 23).
L’orgueil humain se hausse du col moins par ses propres dons et mérites qu’en rabaissant et méprisant autrui. En s’élevant artificiellement, ne manquera-t-on pas le Dieu de la kénose qui s’abaisse en assumant une nature humaine (Ph 2, 5-11) ? Le disciple, pas plus grand que le maître (Lc 6, 40 ; Jn 13, 16) doit suivre l’exemple divin, or Dieu bouleverse nos préjugés hiérarchiques : « Amen, je vous le déclare : les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu » (Mt 21, 31). « Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui » (Mt 11, 11). Sainte Madeleine-Sophie Barat, fondatrice de la Société des Dames du Sacré-Cœur rappelait qu’à l’instar de la porte de la basilique de la Nativité à Bethléem où nul adulte ne peut passer debout (pour empêcher les infidèles d’y pénétrer à cheval), la porte étroite pratiquée en son divin cœur par le coup de lance implique que nous nous fassions plus petit. Ainsi pourrons-nous y pénétrer plus avant, jusqu’à son intime. Or il est des places où les hommes ne se bousculent pas pour accompagner Jésus cherchant en vain un consolateur (Ps 69, 21) : l’adoration et l’oraison, l’offrande de la souffrance.